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3 décembre 2011 6 03 /12 /décembre /2011 07:13

Lettre de moi à Cédric.

lundi 4 novembre 1996

Cher Cédric,

Je n’irai à la fac que cet après-midi, je profite donc de mon temps libre pour t’écrire une lettre que je n’aurai peut-être jamais le courage de t’envoyer. Dans le cas contraire, tu dois être fort surpris de me lire, après des années sans que nous ne nous soyons vus, à part jeudi dernier bien sûr. Quelle agréable surprise de te rencontrer à Blois, à l’occasion de ces « trois jours » du Service National, qui n’ont duré que douze heures ! Tu te demandes pourquoi je t’écris ? En fait, je ne sais par où commencer. Je me sens nostalgique, j’ai envie d’évoquer des souvenirs.

La première fois que j’ai entendu parler de toi, c’était en classe de 3è, par la bouche de Bahia. (Sais-tu qu’elle et moi sommes amis depuis l’âge de huit ans ?)

A cette époque, j’étais très épris d’un garçon qui s’appelait Damien (je ne pense pas que tu l'aies déjà rencontré), et j’ai essayé de me mentir, de me persuader que j’aimais les filles. Pour cela, je suis sorti avec une jolie nana... pendant environ une heure ! Après quoi, je n’ai jamais cherché à la revoir.

Autre tentative : j’ai essayé de me convaincre que la profonde amitié fraternelle qui nous unissait, Bahia et moi, pouvait être de l’amour. Je lui ai proposé de devenir ma petite amie. Elle m’a gentiment éconduit en me disant qu’elle était amoureuse d’un garçon de sa classe, prénommé Cédric. Dès le lendemain, jaloux par possessivité, j’ai mené ma petite enquête pour savoir de qui il s’agissait et s’il était suffisamment convenable pour Bahia. Subtilisant le cahier de texte de votre classe, j’y ai trouvé ton nom de famille, puis je me suis renseigné auprès de mes camarades pour savoir si quelqu’un te connaissait. C’est ton grand copain d’alors, Eric, qui m’a montré qui tu étais un jour où nous nous sommes croisés dans un couloir. Je n’ai pas tardé à raconter à Damien que c’était injuste, que tu étais franchement banal et que je ne comprenais pas pourquoi Bahia te préférait à moi. Pourtant, chaque fois que je te voyais arriver au collège sur ton vélo, avec ton pull saumon, je ne pouvais m’empêcher de te regarder, avec cet indéfinissable plaisir que l’on a en observant ce qui est beau.

Nous étions au printemps et le cross annuel du collège allait avoir lieu. J’ai décidé de m’entraîner afin de ne plus arriver parmi les derniers et impressionner Damien. J’avais laissé croire à celui-ci que c’était Bahia que je voulais épater. Il ignorait, tu l’auras compris, ce que j’éprouvais pour lui. Pendant un mois, je n’ai plus utilisé les ascenseurs de mon immeuble (je te rappelle que mes parents habitent au 17ème étage) et j’ai pu cueillir les fruits de mes efforts en arrivant dixième, plusieurs places devant toi qui a toujours été plus sportif que moi. En nage, Bahia et moi sommes rentrés chez nous, elle ne semblait plus faire attention à toi et ne cessait de me féliciter. T’avoir battu me procurait une grande fierté à laquelle je n’étais pas habitué, tant l’estime que je me portais était malingre.

Ma joie ne fut que d’une courte durée puisque, sans que je sache jamais pourquoi, Bahia me bouda ensuite pendant presque une année entière, comme elle l’avait déjà fait en 6ème. Mais ceci est une autre histoire.

Eh bien, voilà, à ce stade de ma lettre, je t’ai révélé mon homosexualité, comme si cela allait de soi. Il n’en est rien : à part mon médecin, et toi désormais, une seule personne le sait. J’ai beaucoup de mal à l’assumer, je vis avec la sensation d’être haïssable, comme me l’a appris ma mère le jour où elle a dit devant moi à mon frère et à ma belle-sœur : « Si j’avais un fils drogué ou pédé, il pourrait faire sa valise tout de suite, je ne le connaîtrais plus. » Je devais avoir onze ou douze ans lorsqu’elle a dit ces mots qui m’ont marqué au fer rouge. Enfin, je ne t’écris surtout pas pour m’apitoyer !

Te souviens-tu, mon cher Cédric, de la première fois que tu m’as parlé ? C’était lors de notre première classe de seconde. Nous avions en commun les cours de français et d’espagnol. Un jour, tu t’es assis à côté de moi. Je me sentais troublé et exaspéré par ce « rival » qui semblait avoir la prétention de me fréquenter. Au beau milieu du cours, tu m’as dit : « Prête-moi ta gomme, p’tit con. » J’étais tellement estomaqué que je t’ai filé ce que tu me demandais sans broncher. A partir de ce jour, tu n’as cessé de me taquiner (en me chuchotant des bêtises pour me faire rougir quand je répondais à une question de la prof d’espagnol, par exemple) et de m’appeler « p’tit con ». Ayant été habitué par le passé à être harcelé par des camarades de classe, je le prenais très mal et perdait patience un peu plus chaque jour.

Je me suis emporté lors d’un cours d’Education physique. Nous courrions côte à côte autour du stade quand tu as fait mine de me pousser dans une grande flaque d’eau. Te souviens-tu de ma colère ? J’étais furieux, je t’ai hurlé dessus pour te demander pourquoi tu étais toujours après moi. Tu m’as répondu, visiblement embarrassé et surpris de ma réaction, que tu étais désolé, que c’était ta façon d’être avec les copains que tu aimais bien.

Ainsi, tu m’aimais bien ! Sans le savoir, tu venais de me toucher en plein cœur, tant j’étais avide d’affection. A partir de ce moment, je trouvais chaque jour un peu plus d’agrément en ta personne, jusqu’à te trouver beau, aussi bien moralement que physiquement. Mais, j’ignore pourquoi, je n’ai plus beaucoup de souvenir de cette année-là. Je me rappelle simplement que lorsque j’ai su que tu redoublais toi aussi la seconde, je me suis mis à souhaiter pendant tout l’été que nous soyons dans la même classe.

En septembre 1992, nous nous sommes effectivement retrouvés dans la même première, tu en as eu l’air aussi satisfait que moi. Au début, c’était merveilleux, nous étions toujours ensemble. Tu semblais ne pas pouvoir te passer de moi : où que tu allais, tu me disais de t’accompagner. Cette franche camaraderie que tu m’offrais me réconfortait et me donnait la force de résister à la tentation de revoir Damien. Plus le temps passait et plus je te trouvais extraordinaire.

Je me rappelle d’un jour où ton ami Eric a dit que les pédés étaient des tarés, que ce n’était pas normal d’être comme ça. Aussitôt, j’ai pensé à Damien, aux propos de ma mère, et me suis mis à rougir. Avant que quiconque s’aperçoive de mon embarras, tu as détourné l’attention en remettant Eric à sa place. Tu lui as dit que les homo étaient des gens comme les autres, en lui exposant des arguments très censés et adultes qu'alors je ne possédais pas moi-même. Pendant quelques instants, j’ai commencé à croire que si j’était homosexuel, ce ne serait pas si grave que ça. Ces premiers moments d’indulgence envers moi-même, c’est à toi que je les dois. Cela n’a fait que me conforter dans les sentiments de plus en plus forts que j’éprouvais pour toi, quoique platoniques.

C’est alors que quelque chose à craqué en moi. Je me suis mis à me sentir très mal à l’aise face aux gens, y compris (et surtout) face à toi. Qu’on me regarde et qu’on m’écoute me donnait envie de fuir, tant je me trouvais insignifiant. Cette relation entre nous qui avait été jusqu’alors spontanée ne l’était plus. Il m’arrivait de passer des nuits blanches à réfléchir pour le lendemain à des sujets de conversation qui puissent t’intéresser, aux vêtements qui pourraient me mettre en valeur et détourner l’attention de mon acné. J’éprouvais ce malaise non seulement vis-à-vis de toi, mais aussi vis-à-vis de tous nos camarades de classes que nous fréquentions, et je devais composer pour tenir le coup, me préparer à l’avance à parler aux gens, comme un lutteur se prépare à combattre.

Il y avait toutefois une personne avec qui je me sentais relativement à l’aise, va savoir pourquoi, c’était Sabrina. Te souviens-tu d’elle ? Tu ne peux pas l’avoir oubliée : une fille toujours de bonne humeur, maligne, au rire communicatif. Elle faisait preuve de talent en matière d’écriture, elle composait des poèmes. J’espère que tu possèdes encore l’exemplaire de celui qu’elle a écrit pour nous deux et dans lequel elle nous fait une véritable déclaration commune d’amitié. Moi, je suis sûr d’avoir encore le mien, avec ses nombreuses et longues lettres. Tu ne le savais sans doute pas, mais Sabrina et moi, nous nous écrivions régulièrement : on se faisait des confidences, on se racontait des bêtises pour se faire rire, on philosophait sans le savoir. Elle a été pendant quelques mois un de mes rares liens avec la réalité qui ne me fissent pas souffrir.

Bien plus, elle était pour moi un vrai moteur. Rivale en cours de français, j’ai réussi à force de travail à lui piquer la première place au troisième trimestre. Inspiratrice en arts plastiques, ses belles peintures psychédéliques qu’elle distribuait autour d’elle me donnaient envie de dessiner et de peindre. Je pense que tu l’aimais bien toi aussi, car tu la taquinais souvent, notamment en te moquant de son rire !

Malgré tout, j’ai sombré dans une espèce de peur des autres qui me faisait commettre pas mal de maladresses à ton égard. Tu as nécessairement senti que quelque chose clochait, c’est pourquoi, je suppose, tu as mis de l’espace entre nous, en te montrant particulièrement brusque. Je me souviens notamment de ce jour où, pour flatter ton goût de l’aviation (pilotes-tu toujours régulièrement ?), je t’ai fait un superbe dessin d’avion militaire. Sans explication, tu as semblé irrité par mon cadeau et me l’as rendu en me disant qu’il était moche, que tu n’en voulais pas. Je l’ai froissé et jeté dans la corbeille à papiers de la classe. Ce que tu ignores c’est que quelques temps plus tard, j’ai vu dans ton classeur, dans une pochette plastique, mon dessin soigneusement mis à plat : tu avais été le récupérer dans la poubelle à mon insu ! Cette anecdote est très caractéristique de ta personnalité que je n’ai jamais pu cerner. Je ne comprenais pas plus tes accès de gentillesse que ton mépris occasionnel.

Cet éloignement progressif entre nous n’a fait que renforcer mon sentiment d’infériorité et d’exclusion. Ce n’est que l’année suivante, en rencontrant Mathieu (par discrétion, je ne te précise pas son nom, mais tu devineras sans doute de qui il s’agit) que j’allais reprendre pied… mais en fonçant tête la première entre les griffes de ce garçon égoïste et hypocrite.

Voilà une bien longue lettre. Et tu ne sais toujours pas pourquoi je t’écris. Moi non plus, rassure-toi. Mais ce n’est pas pour te déclarer ma flamme. Simplement parce que j’avais envie de te dire que… depuis toi, je sais que l’homme avec qui je ferai ma vie, si j’ai la chance de le rencontrer un jour, ne devra pas seulement m’attirer physiquement, mais aussi et surtout posséder des qualités morales que je puisse admirer et des valeurs que nous puissions partager.

Comment finir une telle lettre ? En te disant que je regrette que nos « trois jours » n’aient duré que le temps d’un jeudi ? Et que cette journée a ravivé en moi une certaine mélancolie ?

Bien à toi.

Note de l’auteur : Cette lettre ne fut jamais expédiée.

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Ce texte est © Jay. Toute reproduction interdite sans l’autorisation explicite de son auteur.

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2 décembre 2011 5 02 /12 /décembre /2011 07:25

– T’es malade ? Qu’est-ce que tu fais ?

– Aboie, répond-il simplement.

Je rigole et lui dit de me détacher. En guise de réponse, il soulève mon tee-shirt et commence à faire glisser l’extrémité de ses doigts sur mon ventre et sur mes flancs. Je me mets à ricaner nerveusement et prends soudain conscience que je bande au point que mon gland est près de jaillir de la ceinture de mon jean. Il s’interrompt.

– Aboie, répète-t-il.

–Bon, c’est pas drôle, là. Tu me détaches ou je crie pour appeler tes parents.

Evidemment, je ne l’aurais jamais fait, trop embarrassé à l'idée d’être découvert dans une telle situation. Damien sort de la chambre et reviens peu après… avec une aiguille à coudre.

– Aboie.

– T’es con ! Arrête ça.

Il commence à me piquer avec l’aiguille, pas jusqu’au sang mais suffisamment pour que la sensation soit intense, d’abord sur les abdominaux, puis sur le torse. D’un doigt, il soulève la taille de mon pantalon, ma queue se tend vers mon nombril. Il menace mon gland avec l’aiguille.

– Aboie.

Je n’obtempère toujours pas. Il renonce et quitte de nouveau la chambre. Je l’entends descendre l’escalier. Il va à la cuisine ? Qu’a-t-il en tête ? Il a vu mon érection. Comment vais-je pouvoir la lui expliquer ? Il remonte l’escalier et pénètre dans la chambre, me regardant avec un sourire en coin. Il tient un petit saladier plein de… glaçons ?

– Aboie ?

– Tu vas faire quoi ?

– Aboie.

– Non.

Il promène un cube de glace sur mon ventre, puis sur mes tétons qui durcissent instantanément. Loin de me faire débander, le froid me vivifie. Je suis terriblement excité par le fait que mon corps, impuissant, soit ainsi offert au garçon de mes phantasmes.

– Aboie.

– Non.

Ce n’est plus par fierté que je refuse, mais pour que le jeu continue. Il déboutonne mon jean, soulève le slip par lequel dépasse déjà mon sexe depuis tout à l’heure, et y engouffre toute une poignée de glaçons. Je suis saisi par la brûlure et contient difficilement un petit gémissement.

– Aboie.

– Va te faire foutre !

Il commence à malaxer pêle-mêle mes couilles et les fragments de glace qui commencent à fondre. Mes testicules deviennent douloureux, mon pénis s’amollit, je n’y tiens plus.

– Aboie.

– Ouaf, dis-je en articulant, veillant à ce que cela ressemble le moins possible à un aboiement. Cela semble le satisfaire. « J’ai gagné ! J’ai gagné ! chante-t-il comme un gamin » tout en me détachant. J’ai l’air furieux. Il ne s’y trompe pas et, tandis que j’enlève mon slip pour le vider et l'essorer, il va s’enfermer dans le salon. Je tambourine à la porte.

– Connard ! Ouvre !

– Quand tu seras calmé, j’ai pas envie que tu m’en foutes une.

Je m’en vais, en lui promettant d’abord que je ne remettrai plus jamais les pieds chez lui et qu’il n’est plus mon ami. Le lendemain, quand je débarque dans sa chambre, il m’accueille avec un sourire moqueur. Jamais il ne me demandera pourquoi je bandais ainsi.

Est-ce de là que me vient le plaisir que j’ai de me sentir offert, dominé, soumis pendant l’acte sexuel ? Ou bien, cet épisode ne fut-il qu’un révélateur ?

attache.jpg

C’est la rentrée. Première matinée au lycée professionnel : deux heures de français. Damien et moi étions évidemment assis côte à côte. Je l’oubliais bien vite, éberlué par la simplicité des exercices que nous faisait faire le prof. Il fallait souligner les sujets dans des phrases ! Je ne participais pas aux corrections, j’attendais que l’on passât aux choses sérieuses. Qui ne vinrent pas. Le professeur m’asséna enfin le coup de grâce :

On ne vous entend pas. Ce n’est pas grave si vous vous trompez, me dit-il compatissant. Essayez de me donner la nature de ce mot, là, me désignant un bête adverbe en -ment.

C’est un adverbe, répondit-je complaisamment. Et sa fonction est complément circonstanciel de manière.

Mais, bravo ! c’est formidable, s’exclama-t-il sincèrement !

C’est juste un adverbe...

Je dois en déduire que c’est par paresse que vous ne participez pas ? Vous commencez bien l’année !

Je ne répondis pas et baissai la tête pour cacher mon visage empourpré de confusion.

A la récréation, nous formions déjà un groupe. Damien fit remarquer que le cours de français était dur, qu’il aurait du mal à suivre. Les autres acquiescèrent. Ce n’est que bien plus tard que je compris pourquoi, à ce moment-là, mon ami me parut beaucoup moins beau qu’à l’ordinaire. Vanessa, une jolie blonde de notre classe, qui m’inspira d’instinct une certaine animosité, s’empressa de séduire ouvertement Damien qui ne tarda pas à jouer le joli cœur avec elle. « Je te trouve trop marrante ! lui déclara-t-il. Tu sais, j’aimerais bien ouvrir un restaurant avec toi. Je ferais la cuisine et toi le service. »

Mon estomac se retourna, les larmes me montèrent instantanément aux yeux. Je m’enfuis d’un pas précipité vers la sortie du lycée. Damien me poursuivit : « Attends ! Tu fais quoi ? T’as pas l’intention de sortir ? T’as pas le droit, on est demi-pensionnaire. »

Vous allez où ? me demanda le gardien en retenant Damien.

Je me tire de ce bahut de merde ! répondis-je sans me retourner.

Je me mis à courir. Je ne pris pas le bus, j’entrepris trois quarts d’heure de course puis de marche pour rentrer chez mes parents. Je ralentis mon pas, épuisé par mes pleurs.

Un rayon de soleil se fraya un chemin entre les nuages. Je fus ébloui. Je crus en une manifestation divine, et je me sentis moins seul, soutenu. Incroyablement, je passai du plus parfait désespoir à une joie sans borne, la vie était belle, je prenais de fermes décisions. Je ne reverrais plus Damien, le seul garçon qui, selon moi, était susceptible de m’attirer physiquement. Je n’étais pas pédé, les pédales sont des monstres, ma mère l'a souvent dit, et ce que j’avais ressenti pour Damien, personne ne le saurait jamais. Je m’inscrirais au lycée général, j’étais d’avance certain que cela ne poserait pas problème compte tenu de mes résultats scolaires, et je ferais des études pour devenir prof de français. J’essaierais d’être un bon fils, obéissant, pour que ma mère se montrât moins rigoureuse avec moi. Je nageais dans l’optimisme le plus sirupeux.

C’était sans compter sur le Lexomil. Chimiquement déconnecté de la réalité, j’ignore ce qu’il se passa cette année-là. En juin, on me refusa la première B (économie et sociologie), je découvris que je n’avais pas assez bossé pour l’obtenir. On me proposa la première G (gestion et comptabilité). On toléra mon redoublement, afin que j’obtinsse la B, qui deviendrait E.S. l'année suivante. Il ne pouvait en être autrement : à travers le brouillard dans lequel je vivais, les économistes Keynes et Malthus étaient devenus mes héros. Je ralentis considérablement ma consommation de Lexomil, devinant sans doute inconsciemment que cela me permettrait de réintégrer la réalité.

A mon « retour », je réalisais qu’aucun adulte ne semblait s’être soucié de mon retrait du monde des vivants : mes résultats avaient été médiocres parce que je ne travaillais pas suffisamment. Point. Personne ne s’était aperçu de mon absence, mais désormais j'étais bien déterminé à remonter mes manches pour affirmer ma présence et reprendre ma vie en main.

Ce texte est © Jay. Toute reproduction interdite sans l’autorisation explicite de son auteur.

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1 décembre 2011 4 01 /12 /décembre /2011 16:36

« Vous avez lu Jane Eyre de Charlotte Brontë, vraiment ? » insiste le littéraire du jury, avec un sourire dubitatif. Il essaie de me coincer, en me posant des questions de plus en plus précises. Il n’en revient pas, il ne doit pas avoir l’habitude de rencontrer des élèves de 3è qui lisent des pavés de la littérature anglaise sans y avoir été contraints. Ne lui en déplaise, ce livre est et restera l’un de mes romans préférés.

– Vous cuisinez ? m’interroge un autre membre.

– Oui, régulièrement, j’aime ça, mens-je effrontément.

– Vous savez faire quoi ?

Je lui déballe un menu qui ferait saliver un ascète. A nouveau ce sourire « Ne me prends pas pour un imbécile, petit con. » Il me cuisine à son tour, me demandant de lui détailler la préparation d’un plat que j’ai cité. Cela ne me pose aucun problème : avant de venir à cet entretien, j’ai appris par cœur plusieurs recettes et termes techniques. Dans de nombreux domaines, la théorie m’a souvent permis de compenser mon manque de pratique. Je peux disposer, ils me félicitent (je ne comprends pas vraiment de quoi) et me disent qu’ils auront plaisir à me retrouver l’an prochain, si je ne change pas d’avis.

Plutôt facile, cette entrevue pour intégrer la section hôtellerie du lycée professionnel. Plutôt sympa, les profs. Pourquoi irais-je m’embêter en seconde générale, alors qu’ici j’apprendrai immédiatement un métier et me rapprocherai bien plus vite du moment où je gagnerai ma vie et pourrai fuir ma mère ? Prof de français ? Quelle bonne blague ! Je ne l’avais jamais envisagé sérieusement, allons ! La grammaire, les bouquins... Merci bien ! Tandis que la cuisine a toujours été mon truc, évidemment. Je n’ai jamais fait cuire un œuf, mais je sais que ça me plaît. Bon, et puis, admettons que je ne sois pas passionné par la cuisine. C’est un métier comme un autre, et j’apprendrai à l’aimer.

Et, en hôtellerie, je serai avec Damien.

Nous étions en slips, pour prendre mutuellement nos mensurations avec un mètre de couturier, dans le seul but de crâner, quand Damien lança cette idée, sur un ton cajolant : « Ce serait trop cool, si tu venais avec moi pour faire hôtellerie. Ensuite, nous pourrions ouvrir ensemble notre restaurant ! » A mes yeux, c’était ni plus ni moins le mariage qu’il me proposait. Notre restaurant constituerait la garantie de ne pas être séparés de sitôt. Moi en slip, les mains de Damien enserrant ma taille avec le mètre, comment aurais-je trouver la force de rejeter cette idée ? Le soir même, j’annonçai à mes parents ma décision de renoncer au lycée général pour accomplir mon rêve : devenir un grand cuisinier.

cuisinier.jpg

Mon père accueillit la nouvelle avec satisfaction. Il avait commencé à travailler à l’âge de 14 ans, à la mort de son père, et il comprenait mal que je veuille perdre du temps à « user mes fonds de culotte sur les bancs de l’école », pour obtenir un bac qui ne me donnerait pas un métier. J’étais content de faire plaisir à mon père. C’était peut-être l’une des dernières fois que j’en avais l’occasion. Il avait de nouveau un cancer. Cette fois, on allait lui enlever les trois quarts d’un poumon.

L’hôpital où il se trouvait était bien plus affreux que le précédent. C’était un officieux mouroir spécialisé dans les maladies liées au tabagisme et aux autres intoxications par inhalation. L’odeur y était insupportable, ça sentait les abats périmés. Les râles de souffrance évoquaient des gouffres glaireux. Devant le hall, les indécrottables qui tiraient sur leur clope par leur fausse bouche béante creusée par trachéotomie, me faisaient faire des cauchemars chaque nuit. Plutôt que de faire des annonces édulcorées du type « fumer tue », on devrait diffuser à heure de grande écoute, des films tournés de ces coulisses de la cigarette. Mais il y manquerait l’odeur s’imprégnant sur les vêtements du visiteur. Non, fumer ne tue pas. Fumer torture, avilit, fait souffrir les familles des inconscients drogués par les substances chimiques que les grands fabricants de cigarettes ajoutent au tabac.

C’est à cette époque que j’ai avalé mes premiers anxiolytiques. Il y en avait en quantité suffisante dans la pharmacie pour que ma mère ne s’aperçoive pas des quelques quarts que je subtilisais de temps à autre. Comment m’était venue cette idée ? Comment avais-je compris que ça ferait baisser la pression que je ressentais ? Je ne m’en souviens plus, mais je ne connaissais pas d’autre moyen pour tenter d’oublier l’attirance que je ressentais pour Damien, l’influence que ma mère continuait d’exercer sur moi et l’hôpital infernal dans lequel on allait scier les côtes de mon père. Tout devient très flou dans mon esprit. Effet du Lexomil.

La mallette d’ustensiles de cuisine coûte cher, ainsi que le costume de serveur et la panoplie du cuisinier. C’est l’argent des vacances qui sert à l’achat. De toute manière mon père est opéré en juillet. L’opération se passe bien. Comme après celle du rein, bonne nouvelle : pas de métastase. Mais les médecins expliquent à ma mère que les chances de mon père sont faibles, car l’association du cancer rein-poumon est bien connue et n’offre pas d’espérance de vie de plus de trois ans au-delà de la seconde opération. Mon père arrête de fumer, il ignore que son cas est désespéré, ma mère m’ayant une fois de plus fait jurer le secret. C’est sans doute ce brutal passage de trois paquets et demi de gauloises à rien du tout qui fera de mon père un miraculé, lui faisant dépasser largement le stade des trois ans de survie annoncés.

Si le plaisir rend fou, Damien fut à deux doigts, cet été-là, de me faire perdre la raison. Nous avions découvert un nouveau jeu, puéril, qui nous faisait bien rire. Il s’agissait de tenter de soumettre l’autre, en lui tordant le bras, en le chatouillant, ou encore en lui attrapant les bourses d’une main ferme. Le « dominateur » ordonnait alors à « sa victime » d’aboyer. Jamais l’un ne cédait à l’autre, la prise de catch ou la poigne de fer cessait avant que ne retentisse le moindre aboiement : c’était drôle de tenter d’humilier l’autre, mais nous n’avions aucun désir d’aller jusqu’au bout. En tous les cas, pas moi.

Puis, un jour où nous bavardions dans la chambre de Damien, lui assis en tailleur sur le sol, et moi allongé sur son lit, mon ami me demande de fermer les yeux : « Je veux t’offrir un petit cadeau, tu ouvriras les yeux quand je te le dirai. » Je le sentis saisir ma main gauche et enrouler quelque chose autour de mon poignet.

– Qu’est-ce que tu fais ?

– Attends, garde les yeux fermés.

Lorsqu’il enroule (une corde ?!) autour de mon poignet droit, j’ouvre les yeux et constate qu’il finit d’attacher mes mains aux barreaux de son lit !


Ce texte est © Jay. Toute reproduction interdite sans l’autorisation explicite de son auteur.

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30 novembre 2011 3 30 /11 /novembre /2011 10:46

Etait-il possible de se réveiller à ce point excité ? L’érection de mon pénis devenait un supplice comme si j’étais resté ainsi toute la nuit. Mais... c’était le cas, réalisai-je soudain en prenant mes repères et en réalisant que j’étais dans le lit de Damien. Je m’étais mis totalement nu, et le contact sur ma peau de ses draps imprégnés de son odeur me rendait fou. Je m’y frottais, en pensant que lui-même s’y était enveloppé et s’y envelopperait le soir-même. Comme je l’ai raconté précédemment (voir Chapitre V), j’ignorais tout de l’art de la masturbation, j’aimais me caresser, mais les seules éjaculations dont je profitais se produisaient dans mon sommeil. Je ne pouvais donc que constater, ce matin-là, la dureté de mon engin, collé inexorablement à mon ventre, en me demandant comment j’allais pouvoir me montrer à mon beau mitron sans qu’il ne s’aperçoive de mon émoi. J’étais dans sa chambre, tandis que, lui, dormait dans le canapé-lit du salon. Pour le rejoindre, une seule solution : bien serrer tout ça dans la ceinture de mon jean.

Je passais la tête par la porte :

- Tu es réveillé ? demandai-je timidement malgré l’évidence de la chose

- Oui, tu vois, je regarde la télé, y a des dessins animés. Viens, c’est Batman, m’invita-il en soulevant la couverture.

Il ne portait qu’un caleçon et la façon dont il était à demi allongé, calé contre les oreillers, mettait en évidence des abdominaux impressionnants qui me faisaient ressentir encore plus douloureusement l’étroitesse de mon jean. Je m’apprêtais à me glisser près de lui, lorsque je surpris son regard étonné : « Bah ! Enlève ton pantalon, tu seras mieux ! » Je ne pouvais refuser sans avouer mon état qui semblait vouloir devenir permanent. Je commençai donc à déboutonner ma braguette, le plus lentement possible, en m’efforçant de songer à des choses désagréables, la prof d’anglais, le brevet à la fin de l’année, les révisions avec Damien, les révisions avec Damien en caleçon... Rien à faire. Je baissais mon jean, regardant mes pieds et priant intérieurement pour que mon ami soit déjà absorbé par les fantaisies du Joker.

Mais je n’eus pas besoin de relever beaucoup les yeux pour m’apercevoir qu’il regardait mon caleçon tendu par mon piquet. Il rit et me demanda pourquoi je bandais comme ça. Je lui répondis que j’avais rêvé toute la nuit d’une camarade de classe et que je n’arrivais pas à me débarrasser de ça. « Si tu veux, tu peux te branler dans mon lit si tu n’en mets pas partout. Ou alors, va faire ça aux chiottes. » Je m’empressais de refuser tout net, prétextant la gêne que je ressentais en sachant ses parents en dessous, au fournil et à la boutique.

Je ne dormais pas souvent chez lui, mais les quelques fois où ça arrivait, l’intimité où nous nous trouvions mettait complètement mes sens ainsi en alerte. J’avais l’impression d’en perdre la tête, jamais encore mes hormones ne m’avaient travaillé à ce point. Toute situation de contact plus ou moins rapproché avec Damien me causait un émoi qui aurait pu faire défaillir un garçon encore plus fragile que moi.

Au printemps, mon ami eut une fameuse idée : transformer le grenier, entrepôt à farine, qui n’était plus utilisé pour des raisons d’hygiène, en un loft que ses parents nous abandonneraient sans contrepartie. Son père trouva l’idée fantastique : de toute manière, il  devait faire nettoyer ce grenier, et il  trouvait là une main d’œuvre motivée et non syndiquée : « Le grenier est à vous, à la condition qu’on ne puisse plus y trouver le moindre instrument rouillé, que vous ne vous blessiez pas, et surtout que vous me débarrassiez de la moindre particule de farine ! » Le contrat nous semblait tout à notre avantage. Nous déchantâmes très vite en découvrant un grenier... tout blanc ! Damien m’expliqua qu’on aurait dû s’y attendre car son père lui avait raconté qu’autrefois on livrait la farine au boulanger, non dans des sacs comme aujourd’hui, mais en la déversant directement dans le grenier par une sorte de lucarne qui donnait sur le marché.

Je commençais à me dégonfler en imaginant l’ampleur du travail à fournir, lorsque Damien me dit :

- Tu vois, là, dans le coin, on mettra notre lit : mes parents vont racheter bientôt un canapé, ils nous donneront sans problème le canapé-lit du salon.

- Notre lit ? m’étonnai-je.

- Bah, oui, à moins que tu préfères qu’on dorme par terre ! Je n’avais pas songé que lorsque Damien et moi passerions nos week-end dans notre grenier, nous coucherions dans le même lit. Cette pensée me donna des ailes, jamais je n’avais balayé, essuyé, frotté, porté de tels poids avec une telle vigueur. Bien sûr, par moment, l’idée, fugitive comme une brise, que ce que je ressentais pour Damien était une manifestation homosexuelle, me traversait le crâne, mais je la repoussais hypocritement en me disant qu’il était mon meilleur ami et que tout ce que j’éprouvais pour lui n’était qu’une affection particulière et puissante.

Ces moments d’allégresse étaient régulièrement vaincus par de profonds abattements, comme lorsque Damien m’expliqua, alors que nous en étions à notre troisième jour de ménage, le code que l’on mettrait à la porte, ou plutôt à la trappe, lorsque l’un ne voudrait pas être dérangé par l’autre.

- Comment ça ? demandai-je naïvement.

- Ben, tu veux pas rester puceau toute ta vie, hein ? Notre loft, il va nous servir à y ramener des filles. Par exemple, si tu débarques alors que je ne suis pas seul, tu vas tout gâcher.

Je repris mon balayage en silence. Au bout de quelques minutes, je déclarai à Damien que tout ça me gonflait, qu’on n’aurait jamais fini et que je me voilais la face. Je parlais de l’aménagement du grenier. Je crois. Mon ami, stupéfait, me regarda partir : rarement avais-je manifesté l’envie de rentrer chez mes parents aussi prestement. Je ne sais pas combien de temps je passai à pleurer dans ma chambre. J’ignorais, ou plutôt je croyais ignorer, la raison de mes pleurs. Des pleurs qui ressurgissaient de plus en plus fréquemment à mesure que les mois passaient.

Quelques jours avant le brevet, nous fûmes invités à l’anniversaire de Sandrine, une camarade de classe qui organisait une fête dans le garage de ses parents. Comme toujours, dans ce genre de circonstance, j’étais assez mal à l’aise : je détestais danser, hormis les slows, me sentant embarrassé de mes bras qui me semblaient s’allonger de dix mètres à mesure que la musique incitait de plus en plus aux mouvements. Je n’étais pas jaloux de voir Damien danser avec des jolies filles : il me semblait encore aller de soi que seules deux personnes de sexes opposés pouvaient danser ensemble. En revanche, je ne pouvais observer les parties de son corps qui entraient en contact avec la demoiselle choisie, sans m’imaginer ce que celle-ci ressentait. Si j’avais pu savoir, dans c’est moments-là, que quelques heures plus tard, je serais physiquement plus proche de Damien qu’aucune de ces filles ne l’avait été tout au long de la soirée !

A cause des garçons, Flashdance, Reality ou encore Madonna s’enchaînèrent. Alors que les derniers invités s’en allaient, attendus pour la plupart par leurs parents, Damien et moi aidions Sandrine à ranger, puisque nous avions convenu de dormir chez elle après la fête. A une heure où il n’est plus possible de déterminer s’il est tard ou tôt, elle nous conduisit à une chambre d’amis, dans laquelle se trouvait un unique grand lit : « J’espère que ça ne vous dérange pas de dormir ensemble ? interrogea-t-elle, pour la forme. » Aucun de nous deux ne protesta. Enfin seuls, nous nous déshabillâmes et fûmes amusés de constater que nous portions un slip identique de la marque Athéna. Ce serait notre seul pyjama pour la nuit. Epuisé, je ne me vis pas m’endormir.

Je fis un rêve étrange : nous étions encore en plein rangement du garage de Sandrine, lorsque les immenses enceintes que j’essayais de débrancher me tombèrent dessus. J’étais étendu sur le dos, écrasé par le poids d’un de ces monstres qui continuait à déverser sa musique. Puis la musique devint respiration. Et je me réveillais. J’attendais que mes yeux s’habituassent à la semi-obscurité afin de comprendre comment il était possible qu’une enceinte soit réellement posée sur moi, car je ne rêvais plus ! Mes idées et ma vue s’éclaircissant, je constatai qu’en fait d’enceinte, c’était Damien qui était couché sur moi, profondément endormi. Nous étions ventre à ventre. Ou presque : ses cuisses enserraient une des miennes et ses cheveux me chatouillaient le menton.

Comme il était lourd ! Le sang me montait aux oreilles, si mon cœur n’avait pas été ainsi comprimé, il se serait sûrement décroché de ma poitrine tant il s’emballait. Croyant ainsi le faire se déplacer un peu afin que je puisse respirer, je remontai mon genou entre ses cuisses, l’obligeant dans son sommeil à les écarter. Ma queue, en durcissant, était sortie de mon slip et s’était coincée douloureusement contre ses abdominaux, et je finis par réaliser qu’il bandait aussi : je sentais son membre, comme une matraque, écrasé contre le haut de ma cuisse. Je devinais que son slip ne le contenait plus et que son gland, nu et brûlant, était appuyé sur le pli de mon aine.

Il dormait. J’aurais pu accomplir tout ce que je désirais depuis de longs mois. Je m’imaginais promener une main sur son dos et caresser ses fesses. Il n’en saurait jamais rien ! Mais je me l’interdis. Il se disait mon meilleur ami, et s’il dormait ainsi à poings fermés, c’est qu’il avait une totale confiance en moi. Comment aurais-je pu abuser de la situation et le regarder en face le lendemain ? Nous restâmes ainsi durant des heures ; la frustration et le poids de Damien avaient beau m’étouffer, je ne pouvais me résoudre à écourter ce pur moment d’extase qui ne se reproduirait peut-être jamais. Plus tard, lorsqu’au lycée je découvrirais l’histoire du supplice de Tantale, je me souviendrais immédiatement de cette aventure.

Le lendemain, j’étais d’humeur joyeuse : je me sentais terriblement fier de moi, capable de résister à mes plus fortes pulsions. Cette joie ne dura pas. Passé le brevet, que nous obtînmes de justesse pour n’avoir pas révisé sérieusement, il fallait décider une fois pour toutes de ce que nous allions faire l’année suivante. J’avais les résultats suffisants pour aller en classe de seconde générale, ce qui correspondait au parcours logique, puisque mon professeur de français, que j’avais depuis la 4è, m’avait déjà suggéré ma vocation : je voulais faire comme lui, à défaut de devenir dessinateur de B.D. et de dessins animés, rêve futile et sans consistance, comme me l’avait expliqué ma mère le jour où j’avais essayé de lui parler des studio Disney implantés en France...

Pour Damien, c’est une toute autre voie qu’il choisit : il opta pour un BEP-CAP hôtellerie, à quelques kilomètres de là, car il se voyait déjà comme un grand cuisinier de renom. Notre séparation semblait par conséquent inévitable. A moins que je ne concède à commettre une folie.

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29 novembre 2011 2 29 /11 /novembre /2011 12:55

- On n’est pas dans la même classe, me confirma Damien, visiblement déçu.

- Oh ! répondit-je simplement, dépité.

- Mais non, j’déconne, on est ensemble !

C’était une bien agréable nouvelle pour commencer l’année. La même nouvelle était nettement moins favorable à mes résultats scolaires qui allaient se ressentir de mon attention en classe détournée par Damien. De la première place en français en classe de 4è, j’allais passer à la cinquième, avec le même professeur que l’an précédent. J’aimais toujours les travaux de rédactions, mais je m’appliquais un peu moins dans l’apprentissage des règles de grammaire et d’orthographe ; je préférais, sans commune mesure, passer tous mes loisirs en compagnie de Damien qui me faisait découvrir de nouveaux mondes, comme par exemple celui du tennis.

Il m’apprit à tenir une raquette, dans un club réservé aux nantis de notre ville. Très vite, je me passionnai pour ce sport. Etait-ce parce que Damien devait souvent se serrer contre moi, au début, pour maintenir mon bras et m’apprendre les mouvements adéquats ? Sûrement, car plus jamais à l’avenir le tennis ne me paraîtrait aussi stimulant.

Parmi les sujets de conversation favoris de Damien, les filles occupaient une place de choix.

- Alors, quand est-ce que tu vas sortir avec une fille ? me demandait-il souvent. Moi, ça fait déjà deux ans que j’ai embrassé une nana pour la première fois. Il est grand temps pour toi !

- Bah, tu sais bien que ça me fait flipper, je ne sais pas comment on embrasse. Et te fous pas de ma gueule !

- Non, je me moque pas, tu sais, moi au début, je me suis planté : je bavais, nos dents se sont cognées, c’était nul. Ca s’apprend sur le terrain, ça vient avec l’expérience.

Le jour où je rencontrai la fille qui allait me permettre de prouver à Damien, et surtout à moi-même, que j’étais « normal », j’étais loin de songer à cela. Toute ma pensée était focalisée sur les fesses de Damien contre lesquelles j’évitais, difficilement, d’appuyer mon sexe en érection. Tous les deux en short, sur la selle de son vélo, moi derrière, enserrant ses cuisses nues entre les miennes, nous nous rendions sur un cours de tennis, en passant par une piste cyclable qui traversait une grande étendue verte, propice à la promenade. Quand Damien s’arrêta brusquement, je crus, inquiet, qu’il allait me regarder et me dire : « Bon, je te sens bander contre mon cul. T’es pédé ou quoi ? ». Mais, pas du tout.

- Regarde les deux filles, là-bas, me dit-il en regardant dans leur direction. La blonde est super mignonne !

- Oui, c’est vrai, elle est canon, admis-je.

- Ca te dirait qu’on essaie de les draguer ? Si tu veux, tu prendras la brune : elle est trop grosse pour moi.

- Pourquoi la grosse est pour moi ?

- La blonde, elle est faite pour moi, c’est sûr ! répondit-il, triomphant d’avance.

Nous nous assîmes dans la pelouse, tournés vers elles, essayant d’élaborer un plan qui se résumait par :

- Vas-y !

- Non, vas-y, toi.

- Non, toi, vas-y !

Installées sur un banc, de leur côté, les demoiselles semblaient également tergiverser à notre sujet et, ne nous lâchant pas du regard et impatientes devant notre hésitation,  nous envoyèrent une petit môme brun et bouffi.

- Ma sœur, elle m’a dit de te dire que tu pouvais venir lui parler si tu veux, me dit-il.

- Elle s’appelle comment ? demandais-je, l’air dégagé.

- Raphaëlle.

- Hein ? C’est pas un prénom de fille ! s’exclama Damien, avec infiniment de tact.

- Va lui dire qu’on arrive, dis-je au gamin.

- Ben , tu vois, conclut Damien, on n’a même pas eu à choisir, la brune te veut, c’était couru d’avance, je suis certain que la jolie blonde en pince pour moi. Allez, on y va !

- Non, attends, elle ne me plaît pas ! En plus elle a un prénom affreux. Comment une fille peut-elle s’appeler Raphaëlle ? Tu me vois sortir avec quelqu’un qui porte un prénom de mec ?

- Justement, si elle ne te plaît pas, tu t’en fous d’elle, ça te permettra de t’entraîner à galocher ! me proposa Damien, pragmatique.

J’acquiesçais, pas mécontent de trouver l’occasion de me hisser au rang des autres garçons de mon âge. Maladroitement, nous nous approchâmes des deux midinettes qui minaudaient.

- Ton petit frère nous a dit que tu voulais me parler ? demandais-je à la brune.

- C’est mon petit frère à moi, répondit la blonde.

- Alors, c’est toi, Raphaëlle ? l’interrogea Damien qui espérait avoir mal compris.

- Oui, confirma la jolie fille aux yeux clairs.

Nous passâmes un peu de temps à discuter de choses et d’autres propres à des adolescents gênés qui se rencontrent pour la première fois. Puis, Raphaëlle et moi convînmes d’un rendez-vous, au même endroit, le jeudi suivant, après nos cours respectifs.

« Je suis un peu dégoûté, m’avoua Damien ensuite, elle est super mignonne. Mais bon, je suis content pour toi. » Moi, je me demandais ce que Raphaëlle pouvait bien me trouver. Peut-être qu’elle n’arrivait pas à avoir de petit copain à cause de son prénom ?

Jeudi. Début du printemps. Un printemps estival, comme je n’en ai plus connu ensuite avant longtemps. Après les cours, Damien m’invita chez lui pour « la dernière touche ». Il me prêta des fringues à la mode, telles que mes parents ne pouvaient m’en offrir, m’aida à me coiffer, m’accompagna jusqu’à la porte de la boulangerie. Ses parents étaient là : ils les avaient prévenus de l’événement.

- Fonce, ne laisse pas passer ta chance, elle est trop bonne cette fille ! m’encouragea Damien.

- Oh ! Damien ! Tu es grossier ! s’offusqua sa mère qui me regardait comme une matriarche regarde partir son aîné à la guerre.

- Tiens ! me dit son père en glissant un préservatif dans ma main, j’ai eu ton âge, c’est le printemps, je sais ce qu’il peut se passer.

- Papa ! Tu vois pas que tu le fais rougir ? Il va juste la galocher.

- Alors, n’oublie pas qu’on embrasse aussi avec les mains, renchérit son père en me faisant un clin d’œil.

- Oh ! Jean ! Tu es plus grossier que ton fils ! se lamenta la mère.

Je m’éloignais, la tête basse, après avoir promis de repasser à la boulangerie avant de rentrer chez moi, pour tout leur raconter. J’étais tout étourdi de me rendre compte que ma mère n’avait pas le monopole quant à la honte que des parents sont capables d’infliger à leurs enfants et aux copains de ceux-ci. Je fis à pieds le trajet que Damien et moi avions fait sur son vélo le week-end précédent.

Je me demandais dans quelle mesure je pourrais renoncer à ce rendez-vous sans passer pour un lâche aux yeux de Damien, de ses parents, des deux Franck et de tous ceux à qui Damien, discret comme un poissonnier sur un marché, avait pu en parler. Je transpirais plus que de raison, j’avais les mains moites comme des pieds après un footing, je repassais dans ma tête tous les scénarios qui pourraient se produire, répétait mes mouvements de langue, la bouche plus ou moins entrouverte. Enfin, lorsque mon regard croisa celui de Raphaëlle, je sus qu’il était trop tard pour reculer.

Nous nous fîmes chastement la bise, puis je lui proposai de marcher un peu, histoire de profiter du beau temps. Un silence de plomb s’installa rapidement. Elle le rompit en me racontant, sans le moindre préambule, un rêve insignifiant qu’elle avait fait la nuit précédente. Comme pour lui témoigner de l’intérêt, je confirmai que je rêvais aussi la nuit. Le silence, de nouveau.

- Ca marche le collège ? lui demandais-je, me moquant éperdument de la réponse.

- Oui, sauf en maths. Et toi ?

- Oui, sauf en maths aussi. On a des points communs ! Tu connais le groupe Queen ? continuais-je, me sentant bien parti. J’aime beaucoup !

- Je n’aime pas du tout, moi c’est plutôt Genesis. Tu aimes ?

- Ben, j’aime pas du tout la voix de Phil Collins. Tu aimes les B.D. ? m’empressai-je de demander pour camoufler mon accès de sincérité concernant la voix de son chanteur préféré.

- J’aime pas lire, mais mon petit frère lis Tintin.

Le silence, de nouveau. Je la détestais, pas seulement pour ne pas aimer ce que j’aimais, mais surtout parce que mon malaise grandissait de seconde en seconde et que je l’en tenais pour responsable. Il n’y avait plus qu’une chose à faire, ce pour quoi j’étais venu : en finir.

- On s’assoit ? lui proposai-je en lui désignant un coin de gazon que le soleil n’avait pas encore roussi.

- Oui, dit-elle, baissant la tête, visiblement gênée comme si je lui désignais un lit.

- Tu es déjà sorti avec un garçon ? lui demandais-je, en étant cette fois-ci intéressé par la réponse.

- Oui, plein de fois ! se défendit-elle. Et toi ? Tu es déjà sorti avec une fille ?

- Bien sûr, à mon âge, tu penses bien !

Nous nous sommes alors regardés et, faisant appel à tout ce que j’avais pu voir à la télé, je me penchai vers elle et posai mes lèvres sur les siennes. J’avais bien en tête les recommandations de Damien fondées sur sa « grande expérience » et j’introduisis ma langue dans sa bouche, de façon un peu brutale. Première impression : c’était visqueux, gluant, répugnant. Mon dégoût fut tel que je ne surveillai plus mes mouvements qui devinrent chaotiques, ce qui amena nos incisives à s’entrechoquer brutalement. Elle recula, l’air éberlué.

- On s’en va ? J’ai plein de devoirs ? dis-je.

- Oui, s’empressa-t-elle d’accepter.

Avant de se séparer, elle me donna son numéro de téléphone, je lui en donnai un faux et promis de l’appeler très bientôt. Puis, après m’être assuré que j’étais bien en dehors de son champ de vision, je jetai sans hésitation le numéro de téléphone dans la première poubelle venue. Mon humeur était mitigée : je me trouvais heureux d’avoir enfin franchi le pas, mais j’étais inquiet en me demandant pourquoi je trouvais dégoûtant ce que tous les garçons et les filles semblaient rechercher. Je trouvai un début de réponse en arrivant à la boulangerie.

En voyant le visage de Damien, ses lèvres, en songeant à sa langue, je me sentis transporté en l’imaginant à la place de Raphaëlle. Je lui racontai que ça c’était super bien passé, que c’était géant, mais que cette fille était trop conne, n’avait pas de conversation et que je n’avais pas l’intention de la revoir. « C’est pas grave, maintenant tu es un homme, me dit Damien fièrement en me prenant par les épaules ».

Ce premier baiser avait-il bouleversé quelque chose en moi ? Le fait est que le moindre attouchement, le moindre frôlement de Damien me rendait désormais encore plus fébrile qu’auparavant. Chaque fois que son corps touchait le mien, un flash s’imposait en mon esprit, réécrivant le souvenir de ce baiser en y substituant Damien à Raphaëlle. Sa salive devenait alors savoureuse, son haleine excitante, nos langues frémissantes de plaisir. Confusément, sans penser à ce tabou qu’était l’homosexualité, faisant passer en mon esprit ce désir pour de l’amitié profonde, je recherchais alors un maximum de contacts charnels avec Damien. J’y réussis sans trop de difficulté, celui-ci ne se montrant guère farouche et la chance étant de mon côté...

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28 novembre 2011 1 28 /11 /novembre /2011 10:55

Damien m’expliqua que la concierge de l’école privée de notre ville était une amie d’enfance de sa mère et qu’il lui arrivait de lui prêter les clefs de l’établissement pour que lui et ses copains puissent jouer dans le gymnase pendant les vacances. « On ira avec Franck et Frédéric, on va s’éclater, me proposa-t-il avec entrain ».

Cette fois, je ne demandai pas l’autorisation à ma mère, mais je l’informais que, le surlendemain, je n’irais pas à l’hôpital et que je verrais Damien. Il est inutile de m’étendre sur le chantage affectif que je subis en guise de réprimande.

Le jour venu, la mère de Damien nous fit ses recommandations :

- Vous n’allez que dans le gymnase. Vous n’avez pas le droit d’accéder au reste de l’établissement. Tu le diras bien à Franck et à Frédéric, Damien.

- Oui, oui, je sais. On peut prendre des pains au chocolat pour le goûter ? répondit laconiquement le fils du boulanger.

Je n’étais pas mécontent de retrouver « les deux F ». Ils étaient dans la même classe que nous en 4è et, même si je ne leur avais pas parlé davantage qu’à Damien, ils me paraissaient plutôt sympathiques, ce que me confirma cet après-midi mémorable. A peine étions-nous arrivés dans le gymnase que Damien nous proposa de faire une partie de cache-cache. Incrédule, je regardai l'immense salle de sport d’un coin à l’autre.

- Où veux-tu que nous nous cachions ? lui demandai-je.

- Ce n’est pas la place qui manque avec tous ces couloirs et ces salles, fit remarquer Franck.

- Nous n’avons pas le droit d’aller ailleurs que dans le gymnase, crus-je devoir l'informer.

- On fait toujours nos parties de cache-cache dans tout l’établissement, me confirma Damien. Comment veux-tu que la gardienne ou ma mère le sachent ?

C’est d’abord Frédéric qui dut rester dans le gymnase pour compter jusqu’à cent, tandis que nous nous cachions. Dans notre précipitation, nous faisions des dérapages à peine contrôlés sur le linoléum des couloirs. Le parfum de l’encaustique à l’huile de lin m’évoquait le temps de l’école primaire. Un lieu de torture autrefois, un paradis du jeu alors. L’école est bien agréable quand on y est maître comme chez soi. Sans doute l’idée me traversa-t-elle l’esprit de devenir professeur : ça pouvait être cool comme boulot, les profs devaient sûrement s’en payer une bonne tranche dans les salles et les couloirs quand les élèves n’étaient pas là !

colle-cleopatre.jpgUne odeur m’en rappelant une autre, tandis que je me cachai sous un pupitre d’une salle de classe, je me souvins de celle de la colle « Cléopâtre » que j’avais complètement oubliée : amande laiteuse dans son petit pot de colle en plastique blanc, avec son couvercle orange auquel était fixée la spatule. En esprit, je vis alors, posée à côté du petit pot, pêle-mêle, une gomme « Charlotte aux fraises » qui sentait le bonbon, un cahier d’écolier dont la couverture était illustrée par Sarah Kay, une figurine de Schtroumpf, un taille-crayon en forme de poubelle, un dessin de « Blondine au pays de l’arc-en-ciel » réalisé par Bahia. Sans doute était-ce la première fois que j’éprouvais un tel sentiment de nostalgie et que je comprenais, bien avant d’avoir lu Proust, le rôle que jouaient les sensations olfactives dans le réveil de la mémoire.

Nous étions en nage à force de courir partout pour trouver de nouvelles cachettes. Tandis que c’était à Franck de s’y coller, Damien me suggéra de nous cacher tous les deux ensemble. Il n’avait aucun argument à l’appui pour justifier cette proposition. Au contraire, cela permettrait à Franck de faire d’une pierre deux coups quand il nous trouverait ! Mais, je commençais à ma plaire de plus en plus auprès de Damien, et je trouvais l’idée tentante sans vraiment savoir pourquoi. Il m’emmena dans la cuisine à côté du réfectoire : « J’ai une planque imparable, jamais Franck ne pensera à venir nous y chercher ». Il ouvrit une gigantesque porte de placard en aluminium. Loin d’être plein, il y avait là une place suffisante pour y tenir à deux. Nous nous serrâmes l’un contre l’autre, et Damien referma la porte coulissante. Une odeur de purée Mousline et de compote de pomme persistait et m’entêtait, bien que la cuisine fût désertée depuis fin juin.

A cette odeur se mêla bien vite le parfum de Damien. Etait-ce son déodorant ? Son eau de toilette ? L’odeur de sa peau, de sa transpiration ? Un mélange de tout cela ? Je me sentais enivré, apaisé, avec l’envie de m’endormir. Il chuchotait à mon oreille, de crainte que notre chasseur ne nous trouvât. Je frémissais en sentant son souffle sur mon cou. Il déplaça son pied qu’il cala négligemment sous mon périnée sans brutaliser mes parties sensibles à la douleur. Mon pénis, durci par le plaisir, était inconfortablement écrasé contre mon ventre, mais j’aurais voulu que nous restions comme ça très longtemps. Mon vœu était presque exaucé.

- Il ne nous trouvera jamais, murmura Damien près de mon oreille.

- Alors, on va être obligés de sortir nous–mêmes d’ici, ou on risque de manquer d’air, fis-je remarquer, le nez sur sa tempe.

- Non, attends, on n’est pas pressés, on va le laisser mijoter.

Combien de temps s’écoula-t-il ? Je l’ignore, mais nous restâmes ainsi, sans bouger pendant ce qui me paraît aujourd’hui, avec le prisme déformant de la mémoire, avoir été une bonne partie de l’après-midi. Enfin, nous sortîmes de notre cachette et allâmes retrouver Frédéric et Franck. Ce dernier était en colère, il nous accusa d’avoir quitté l’école, sinon il nous aurait forcément trouvés, c’était de la triche. Damien calma les esprit en sortant de son sac à dos les pains au chocolat, ce qui nous mit le sourire aux lèvres.

Je revis Damien après un ou deux jours passés à l’hôpital durant lesquels je songeais que, grâce à lui, je vivais et ressentais des choses fantastiques qui m’avaient été interdites jusqu’à lors. La guerre froide entre ma mère et moi dégénéra en conflit ouvert. Elle m’accusa d’égoïsme, de délaisser mon père, de me mettre sous la mauvaise influence de Damien. Peu m’importait, le temps que je passais avec lui effaçait les crises de fureur de la mère-dragonne. Et les colères de sa mère à lui me paraissaient autrement moins violentes.

Pourtant, furieuse, elle le fut lorsqu’elle entra avec fracas dans la chambre, située au-dessus de la boutique.

- Damien ! Tu te fiches de moi ? Je t’avais dit de ne pas aller ailleurs que dans le gymnase, lorsque vous êtes allés à l’école !

- Bah, on n’a pas quitté le gymnase, m’man, répliqua le fils indigne en feintant l’étonnement...

- En plus, tu continues à mentir ! Elizabeth m’a appelé pour me dire qu’elle avait été faire un tour à l’école et qu’elle avait dû cirer à nouveau tous les lino, parce qu’il y avait des traces de pas et de dérapages partout dans les couloirs.

- Vous feriez de bien piètres voleurs tous les deux, s’amusa le père de Damien, toujours bon homme, tandis qu’il montait à l’étage en entendant son épouse crier.

- Je t’assure que nous deux, nous n’avons pas quittés le gymnase. Mais Franck et Frédéric n’ont pas voulu m’écouter et sont allés visiter le reste de l’école.

- C’est vrai, Madame, intervins-je effrontément, Damien leur a bien dit que vous nous aviez interdit de sortir du gymnase.

- Quoi qu’il en soit, Damien, tu es puni. Tu pourras venir le voir ici, si tu veux, me dit-elle gentiment, mais il n’a plus le droit de sortir avant la rentrée.

Les protestations de mon camarade et l’intervention de son père ne changèrent rien.

- Je suis trop dégoûté, je voulais t’apprendre à jouer au tennis, me dit-il. En tous cas, merci d’avoir menti.

- C’est normal, on est amis, non ?

- Ouais, sûr que t’es mon ami, le meilleur même ! Jamais un pote n’avait menti à mes parents pour me protéger.

En me confirmant son amitié, Damien me rendit fou de joie, j’avais sincèrement l’impression qu’il me donnait tout ce que je désirais. Je n’imaginais pas qu’un jour, ça ne suffirait plus.

Les vacances se terminèrent en parties de Trivial Poursuit, en visionnage de films d’action et d'horreur, en jeux vidéo Atari, en bavardages passionnés sur tout ce qui intéressait les adolescents à l'orée des années 90 : les vêtements de marque Nike et Chevignon (que mes parents n’avaient pas les moyens de m’offrir, ce que comprenait Damien, conscient que tous les collégiens n’appartenaient pas à la petite bougeoisie), le sexe (à propos de quoi nous nous étions avoués sous le sceau du secret que nous étions puceaux tous les deux), le groupe Queen, et bien d’autres choses que j’ai oubliées depuis. Notre entente était telle que nous évoquions sans arrêt le fait que ce serait génial que nous soyons dans la même classe de 3è.

Le jour de la rentrée arriva fatalement. Les élèves se bousculaient pour voir les panneaux d’affichage. Damien, qui avait réussi mieux que moi à s’approcher des listes de classes en jouant des coudes, revint vers moi pour me donner l’information que nous attendions tant depuis des jours. Etions-nous dans la même classe ? Le voyant s’approcher avec sa mine déconfite, je ne me faisais plus beaucoup d’espoir...

 

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27 octobre 2011 4 27 /10 /octobre /2011 16:47

La dernière heure de classe de l’année scolaire de 4è venait de s’achever. J’attendais Bahia devant la grille du collège pour que nous rentrions ensemble, comme à notre habitude. Damien, avec qui je n’avais jamais échangé que des saluts polis, s’approcha de moi.

– Tu n’es pas pressé de partir ? Le collège te manque déjà ? me demanda-t-il sur le ton de la plaisanterie.

– J’attends une amie.

– Ta chérie ?

– Non, non, juste une amie, répliquais-je en rougissant jusqu’au bout des cils.

– Tu pars cet été ? me demanda-t-il, peu décidé apparemment à me dire au revoir.

– Non, impossible, mon père... euh... mon père travaille.

– Moi je pars en juillet, mais si tu veux on pourrait se voir en août, ça serait cool.

– Oui, ça serait cool.

– On pourrait aller à la piscine, ça te dit ?

– Ouais, super !

J’étais rouge écarlate : la seule vérité qui était sortie de ma bouche jusqu’à présent, c’était que Bahia n’était pas ma petite amie. Sinon, je passais l’été auprès de mon père dans le service de cancérologie d’un hôpital parisien, je n’avais pas particulièrement envie de voir Damien ou qui que ce soit d’autre pendant ces vacances, et surtout j’étais aussi à l’aise à la piscine qu’un cheval peut l’être sur un scooter.

– Tiens, me dit-il, en me tendant un petit papier sur lequel il avait griffonné son numéro de téléphone.

– Ah, merci. Tu veux le mien ?

– Bah, oui, ce serait pratique.

Je notais d’une main tremblante le numéro à huit chiffres de mes parents. Je ne l’avais encore jamais donné à personne, de crainte que quelqu’un tombât sur ma mère de mauvaise humeur ou sur mon père saoul.

« Tu sais, m’avoua-t-il, depuis le début de l’année, je te trouve l’air sympa, mais je n’ai jamais osé trop te parler : tu n’avais pas l’air d’en avoir envie. »

J’aurais voulu lui répondre quelque chose d’intelligent, mais je ne pouvais rien faire d’autre que le regarder en m’étonnant de ne pas avoir remarqué ses beaux yeux bleu acier plus tôt dans l’année. De surcroît, ses cheveux châtain clair ornaient un visage pas vilain du tout, avec un petit nez de lutin. Mon attention avait tant été retenue par Antoine que j’avais ignoré Damien qui, pourtant, à maintes reprises, avait été classé 2è ou 3è dans une liste élaborée par les filles de notre classe qui déterminaient ainsi quels étaient les garçons les plus mignons. Moi aussi, j’arrivais 2è ou 3è. Mais Damien, lui, c’était en partant du début du classement.

L’opération de mon père avait réussi. On lui avait retiré tout le rein et les glandes surrénales pour limiter le risque des métastases. L’avenir nous apprendrait que c’était en vain. Le mois d’août, cette année-là, était particulièrement chaud et sec, ce qui ne faisait que rendre encore plus écœurante les odeurs d’éther, de désinfectant et de potage qui parfumaient l’hôpital. Quand Damien me téléphona pour me proposer quelques heures de rafraîchissement et de bronzage à la piscine, j’acceptai sans aucune hésitation : un après-midi entier sans voir mon père perfusé, sans parler cancer avec ma mère qui ne se confiait qu’à moi et ne pleurait que devant moi, sans ces odeurs qui, me semblait-il, imprégnaient ma peau, bref, un après-midi de liberté... c’était inespéré !

Je demandai la permission et l’argent nécessaire à ma mère après avoir accepté l’offre de Damien. Elle me les accorda immédiatement, non sans soupirer, les larmes aux yeux : « Tu as de la chance de pouvoir fuir tout ça pendant quelques heures. Moi, il n’y a que lorsque je serai trois mètres sous terre que je pourrai me détendre enfin. Papa comprendra que tu ne viennes pas le voir, tu sais. » Son stratagème était près de fonctionner, j’allais lui dire que je n’irais pas à la piscine, que je resterais avec elle, lorsqu’un regain d’égoïsme vainquit mon sentiment de culpabilité : « – Tu pourrais aussi me donner des sous pour que je m’achète un pain au chocolat après la piscine, s’il te plaît ? – Au moins, tout ça ne te coupe pas l’appétit à toi, tant mieux ! »

Sur le chemin, j’appréhendais un peu : non seulement je nageais comme une pierre, mais en plus j’étais convaincu d’être moche et en position d’infériorité sans mes vêtements pour m’y cacher. L’odeur de chlore finit de me rappeler combien je n’aimais pas la piscine et me donna l’impression désagréable que je ne pouvais décidément plus fuir les odeurs entêtantes.

Damien m’attendait comme convenu devant l’entrée. Je fus stupéfait de le trouver incroyablement beau : le mois de juillet avait halé sa peau et éclairci ses cheveux qui étaient maintenant d’un blond doré. Son regard me parut pénétrant, son sourire éblouissant.

– Je suis content de te revoir, me dit-il en me serrant la main.

– Moi aussi, répondis-je laconiquement.

En sortant des vestiaires, je fus époustouflé par son corps dont je détournai rapidement les yeux, me sentant gêné et troublé. Pendant les quelques secondes où je l’avais regardé de la tête au pied, j’avais découvert un garçon musclé, pas sec contrairement à moi, mais charpenté à la façon d’un jeune rugbyman. De tout l’après-midi, je n’osai plus le regarder autrement que dans les yeux, hormis lorsqu’il me tournait le dos : là, je me régalais en admirant  ses épaules et son dos larges, ses fesses bien rondes et ses cuisses sportives recouvertes de poils clairs.

Il me mit très vite à l’aise, ne se moquant pas de ma brasse maladroite, mais m’apprenant à mieux nager. Nous chahutions dans l’eau comme des enfants, nous faisant couler mutuellement, nous éclaboussant, couvrant de nos rires l’écho des cris enjoués des groupes d’adolescents. Allongés sur nos serviettes, à l’extérieur, sur la pelouse, nous discutâmes de tout et de rien. Moi qui n’étais pas d’un naturel bavard, je me surprenais à amuser et à intéresser Damien. Nous parlions comme si nous nous étions toujours fréquentés, nous semblions les meilleurs amis du monde.

Il me dit soudain : « Les filles étaient connes de te mettre dans la fin du classement. T’as de beaux yeux et je vois que t’es bien foutu. Pas très très musclé, mais bien foutu. » Le sang me monta à la tête. Je me sentais touché car personne ne m’avait jamais dit que je n’étais pas laid, mais je demeurai en partie dubitatif : ne se moquait-il pas de moi ?

« Rougis pas ! s’exclama-t-il. T’as pas à être gêné, je suis pas pédé, hein ! » Tant mieux, parce que je ne l’étais pas non plus, pensais-je en toute honnêteté.

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Nos estomacs nous signalèrent l’heure du goûter, nous passâmes sous la douche avant d’aller nous rhabiller. Il s’agissait de douches collectives et non de cabines. Pas question, donc, de se mettre nu pour se laver réellement. Damien, à côté de moi, faisait face au mur et gardait la tête baissée, se laissant fouetter la nuque par le puissant jet d’eau chaude. J’en profitai pour le regarder à son insu et eus ainsi le loisir de contempler la bosse impressionnante de son slip de bain bleu qui, trempé, cachait peu ses parties les plus intimes. J’étais fasciné par cette protubérance virile et n’arrivait pas à déterminer quelle en était la cause. Un sexe très gros ou très long ? En semi-érection ? Des testicules volumineux ? Tout ça à la fois ? Je quittai les douches avec précipitation, allant cacher mon excitation dans mon vestiaire.

J’eus beaucoup de mal à me rhabiller, mon slip et mon jean trop serrés ne contenant qu’avec peine mon émoi dont je ne pouvais plus me défaire. Même Antoine ne m’avait jamais mis dans un tel état. J’allais devoir m’y habituer, car désormais, chaque fois que je verrais Damien ou que je penserais simplement à lui, je serais excité au point de demeurer en érection durant des heures.

A la sortie de la piscine, je lui proposai d’aller acheter des viennoiseries à la boulangerie la plus proche. « Traître ! m’asséna-t-il. Tu veux faire marcher la concurrence ? T’as oublié que mon père est boulanger ? Viens chez moi, on mangera tout ce qu’on voudra, et ça ne te coûtera pas un sou... » Un quart d’heure plus tard, il me présenta donc à son père, un homme costaud au visage rougi par le fournil, et à sa mère, bourgeoise charmante qui tenait la boutique avec raffinement.

Tandis que nous nous empiffrions de délicieux pains au chocolat, de croissants et de briochettes, Damien me demanda :

– On pourra se revoir pendant ces vacances ?

– Bien sûr, pas de problème, je n’ai rien à faire ! mentis-je avec sincérité, oubliant pendant quelques instants ma mère et la maladie de mon père.

     Alors, je vais te proposer quelque chose de génial...

 

Ce texte est © Jay. Toute reproduction interdite sans l’autorisation explicite de son auteur.

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21 septembre 2011 3 21 /09 /septembre /2011 14:54

Les vacances finies, il fallut bien affronter mon nouvel établissement scolaire : le collège. Celui-ci ne se trouvait guère plus éloigné de notre immeuble que l’école primaire. Deux minutes à pieds, en prenant son temps. A croire que de sombres gestionnaires du territoire avaient songé que les jeunes ouvriers et immigrés ne s’épanouiraient pas à l’écart de leur cité ! En fait, il y avait deux cités, séparées par une voie ferrée. Les immeubles étaient pratiquement identiques dans les deux, mais d’un côté il y avait la nôtre, « la cité des pauvres », où étaient ancrées les écoles maternelle et primaire, et de l’autre côté de la voie, « la cité des riches », celle du collège et du lycée, là où l’on portait davantage des vêtements de marque et où l’on promenait des dalmatiens. Cette cité n’était pas en réalité celle des riches, mais celle des Blancs de la classe moyenne qui connaissaient quelqu’un qui connaissait quelqu’un qui connaissait Quelqu’un.

Les vrais riches, eux, habitaient le reste de cette petite ville bourgeoise qui ressemblait à toutes les petites villes bourgeoises de banlieue, avec ses pavillons fleuris et sa rue commerçante où se côtoyaient une armée de coiffeurs déguisés en cosmonautes comme cela se faisait dans les salons de coiffure distingués des années 80, une fleuriste sans âge liftée à outrance, un charcutier raciste suant le cholestérol et un boulanger dont le fils unique deviendrait pour moi mon premier amour d’adolescent. Mais nous reviendrons dans cette boulangerie en temps voulu.

C’est ma première rentrée au collège. S’il y a un dieu qui a souvent cherché à me mettre à l’épreuve, il se distingua encore une fois en me casant, parmi les sept classes de 6è existantes, dans celle d’Alexandre, en veillant bien à ce que je sois séparé de mes copines, Bahia et les autres demoiselles qui étaient réparties dans les autres classes.

De toute façon, Bahia ne m’adressa plus la parole pendant un an et gardait la tête baissée quand nous prenions l’ascenseur ensemble, tous les jours. J’avais bien remarqué que durant les vacances d’été, ses hanches de petite fille s’étaient élargies, mais comment aurais-je pu deviner que cela signifiait pour elle le début de la puberté et que ses parents, musulmans, y avaient vu le signal annonçant qu’elle ne devait plus fréquenter les garçons ? Non, moi, égocentrique, je pensais que Bahia avait trop honte de me fréquenter, de fréquenter la fille qui n’en était pas une. Ainsi, la grande aventure du passage souterrain de la voie ferré, nous la vivions à quelques mètres de distance, soit que j’accélérais mon pas quand elle ralentissait, soit que je restais poliment derrière elle quand nous étions en retard pour les cours.

Alexandre était également séparé de ses acolytes, mais il ne tarda pas à se reconstituer une bande de garçons au sein de la classe, qu’il monta très vite contre moi. A ma grande surprise, je n’étais plus « la fille », j’étais devenu celui dont on riait sans avoir à le nommer. Ce mépris se justifiait certainement par le fait que, pendant les premiers mois, ma mère m’accompagnait jusqu’à la porte du collège, attendant toujours que je fusse éloigné pour me crier ses recommandations, sur un ton tantôt tendre, tantôt menaçant, faisant de grands gestes d’amoureuses qui aurait regardé son fiancé partir à la guerre. Le nez baissé, je traversais la cour le plus rapidement possible afin de fuir son regard, comprenant confusément combien son amour exclusif pour moi était pesant. Je commençais à la détester. Et ça faisait aussi mal que de l’aimer.

Autre nouveauté : j’appris à me battre, physiquement. Incapable de répondre aux attaques verbales sournoises d’Alexandre et de ses copains, je leur fonçais dessus tête baissée, que l’on soit dans la cour, dans les couloirs ou même en classe. Je n’avais peur de rien, sinon de la honte de rester davantage passif face à leurs moqueries qui portaient la plupart du temps sur ma mère. A leur mépris, je répondais par la haine. Les professeurs nous séparaient, sous les cris animaux des élèves enragés par la vue du combat.

Pourtant, je n’ai jamais été collé en retenue. La seule fois où un professeur avait osé me mettre une heure de colle, ma mère s’était ruée au collège et avait terrorisé ladite prof de son regard furieux que je craignais tant en lui expliquant sur un ton menaçant, et assez fort pour que tout l’établissement l’entende, que jamais, ô grand jamais, je ne ferais une heure de retenue, que cela me ferait rentrer en retard, seul, que je serais égorgé dans le passage souterrain par quelque fou dangereux et qu’elle, soi disant professeur responsable, aurait ma mort sur la conscience. Plus jamais un professeur n’essaya de me coller. Ils étaient raisonnables, comprenant à qui ils avaient affaire. Comme j’aurais aimé aller en retenue plutôt que de subir l’humiliation d’être celui dont la mère terrifiait les profs !

A l’appartement, je passais de plus en plus de temps dans ma chambre au grand dam de ma mère qui comprenait, impuissante, que cette pièce devenait pour moi un refuge, un sanctuaire, isolé du reste du monde. Mes premières manifestations de rébellion et de rage à son égard concernèrent cette chambre, dans laquelle je ne voulais plus qu’elle mette les pieds (j’étais capable de m’occuper du ménage et du lit, elle aurait une pièce en moins à s’occuper, de quoi se plaignait-elle ?) et dont je ne voulais plus qu’elle ouvre la porte sans frapper au préalable et attendre ma réponse. Très vite, elle n’osa plus déroger à cette loi, déstabilisée qu’elle était par mes accès de colère. J’avais été à bonne école et avais eu un bon maître.

La principale raison pour laquelle je souhaitais cette intimité était l’apparition de sensations, inconnues jusqu’alors, qui me poussaient à me mettre nu au lieu de faire mes devoirs (pour quoi faire ? De toute manière, je ne serais pas collé), et à me glisser dans mon lit. J’avais toujours dormi en pyjama, et le contact des draps doux ou rugueux sur mon corps était nouveau. Je prenais conscience de mes érections auxquelles je n’avais prêté aucune attention jusqu’alors et passais mon temps à frotter voluptueusement mes parties intimes sur mon matelas et mon oreiller. J’avais l’impression de ne plus jamais débander, quel que fût le moment de la journée et ne pensais qu’à une chose : m’enfermer dans ma chambre en bloquant la porte avec une chaise, me dénuder et me caresser dans mon lit.

Curieusement, je n’allais pas jusqu’à éjaculer, car je ne savais pas me masturber. Etait-ce dû au manque de discussions avec des camarades de mon sexe ? Etait-ce parce que je me découvrais une sensibilité extrême du scrotum et du périnée, au point de délaisser un peu trop mon pénis ? Le fait est que je n’appris à me branler que très tardivement, à l’âge de dix-huit ans, et que, jusque-là, mes orgasmes n’étaient pas contrôlés et que mes éjaculations se produisaient pendant mon sommeil. Quel plaisir d’être réveillé par ces libérations, couché sur le ventre que je mouillais en même temps que mon matelas ! Ce n’est que plus tard que j’appris qu’on appelait cela « pollutions nocturnes » : pourquoi une expression si péjorative, si culpabilisante, pour une jouissance aussi grande et sans conséquence ?

Entre cette obsession du plaisir qui me faisait délaisser tout le reste et mes bagarres à répétitions au collège, ce qui devait arriver arriva : je redoublai ma classe de 6è. Une des meilleures choses qui me soit jamais arrivé ! Alexandre partait devant avec ses copains et je n’entendrais plus parler d’eux avant de lire les faits divers de délinquance dans le journal local – merci Bahia et Adrian de m’avoir dissuadé de rejoindre sa bande.

Par ailleurs, je me retrouvais parmi de jeunes inconnus qui n’avaient jamais entendu parler de moi et auprès desquels je pouvais me faire une nouvelle réputation. Je devins le premier de ma classe dans toutes les matières, m’assurant ainsi qu’aucun conflit n’aurait lieu entre mes profs et ma mère, venant tout gâcher. J’eus mes premiers camarades de sexe masculin. Je dois avouer que je ne me souviens que très vaguement d’eux. Il y en avait un, pourtant, auquel je pensais particulièrement lorsque je me glissais nu dans mon lit : il se prénommait Antoine et avait mon âge, soit un an de plus que les autres. Mais, intimidé par le désir que je ressentais pour lui, son sourire charmeur, ses yeux sombres et ses airs de petit homme, jamais je ne le fréquentais de trop près. Le hasard de la gymnastique allait toutefois me pousser littéralement dans ses bras.

Il y avait la lutte au programme d’éducation physique. Regarder les garçons se saisir à bras-le-corps me chamboulait plus que je ne pouvais me l’expliquer. Je ne souhaitais qu’une chose : pouvoir approcher d’aussi près le ténébreux Antoine. Mes vœux furent exaucés, le sort, incarné par le professeur, nous désigna tous deux pour lutter l’un contre l’autre. Cela dura peu de temps, mais suffisamment pour que je sente, à travers nos survêtements, son sexe contre ma cuisse. La crainte qu’il ne sente l’effet que cela me faisait, malgré mon slip qui me gainait, m’insuffla l’énergie nécessaire pour le vaincre le plus rapidement possible, alors qu’il était de toute évidence plus fort que moi. En retournant dans les vestiaires, Antoine me souffla à l’oreille, gentiment moqueur : « Ca t’a plu, hein ? C’était trop bon d’être contre toi, tu m’as fait bander moi aussi ». Je devins écarlate, bien que je ne fusse pas réellement surpris, Antoine étant connu parmi nous pour tenir des propos fleuris qui nous faisaient toujours ricaner bêtement. Le fait est que ces paroles achevèrent de m’exciter et que je renonçai à me changer devant mes camarades, ayant conscience de la visibilité de mon érection.

Quoi que je ne brillasse jamais en cours de sport, je devins l’un des meilleurs lutteurs de la classe pendant le reste du trimestre, au grand étonnement de mon professeur. Mon secret ? Faire sortir du cercle à tout prix le garçon contre qui je me battais avant de me mettre à bander.

lutte

De ma deuxième 6è à la classe de 4è, le temps s’écoulait ainsi, à travers une brume dont le voile obscurcit ma mémoire, m’obligeant à pratiquer la plus grande ellipse que j’aurai à faire dans cette autobiographie. Mais, si je souhaite centrer celle-ci sur ma découverte de la sexualité et mon parcours sentimental, je ne peux cependant pas passer sous silence la maladie de mon père. Du moins, mentionnerai-je ses deux cancers liés au tabagisme qui m’enfermèrent tous les soirs et les week-ends dans des centres hospitaliers à l’odeur écœurante. Ma mère assumant mal cette situation, elle s’en remit presque totalement à moi, m’ordonnant de surcroît le plus grand silence concernant ces cancers que l’on faisait passer pour de simples kystes aux yeux de mon père. Si j’en parlais à qui que ce fût et que le mot « cancer » revint aux oreilles de mon père, il se découragerait et se laisserait mourir. Ce serait ma faute. Ce secret eut pour effet de me faire mûrir avant l’heure et de me marquer au fer rouge pour des années.

A la fin de la 4è, je venais d’avoir quinze ans, alors que je commençais à m’éloigner de mes camarades et à m’enfoncer dans un mutisme pour garantir à mon père le secret le plus absolu sur ses maladies, Damien, le fils du boulanger, fit une entrée aussi surprenante qu’inattendue dans mon existence.

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11 septembre 2011 7 11 /09 /septembre /2011 08:38

Chaque année, j’allais au Paradis. Oh ! pas longtemps, pas pour l’éternité, non, pour un mois seulement.

On croit que le Paradis c’est très loin. Eh bien, on a raison. C’était à cinq heures et demi en voiture.

Le Paradis c’est d’abord l’impatience. Des bagages préparés dès la mi-juin, au lieu de faire mes devoirs. De grands débats qui s’organisent avec mes peluches et mes poupées : elles veulent toutes partir avec moi, il faut bien que je sélectionne les heureuses élues. Une nuit blanche, à compter les minutes avant le grand départ, me tournant et me retournant dans mon lit en songeant que je serai le lendemain au Paradis.

Le Paradis c’est ensuite encore un peu l’Enfer. Papa qui crie parce que tout ne rentrera pas dans la voiture et qu’on va partir trop tard pour échapper aux bouchons. Maman qui crie que s’il continue à crier, on ne part pas. Moi qui pleure, parce que Papa crie et que s’il me fait perdre le Paradis, j’en serai désespéré.

Le Paradis c’est alors la route, avec le Saint Christophe scotché dans la Renault 14 avec du double-face, Saint minuscule tout en aluminium, que ma mère caresse religieusement chaque fois que Papa dépasse un autre véhicule. Sur la route, on a le droit de grignoter des choses aux heures où l’on ne mange pas habituellement. Comme si se déplacer à 120 à l’heure, ça creusait. C’est la valse des Kiri, des œufs durs et des chips.

Puis, le Paradis, on y est. Saint Pierre se dédouble pour prendre l’apparence de Mme Claire et de M. Lagarde, mes mamie et papy de cœur qui nous louaient la maison mitoyenne à la leur. Mme Claire et M. Lagarde sont tous les deux veuve et veuf. Ils se sont rencontrés à un âge où l’on croit que l’amour est réservé à la jeunesse. Ensemble, malgré leur grand âge, ils travaillent à la préservation et à l’entretien du Paradis. Le bon Dieu n’a plus grand chose à faire, sinon donner sa bénédiction.

Le Paradis c’est l’été, un parfum de campagne, de ronces et de ruisseaux glacés, chauffé par un soleil plus brûlant que celui de la Région Parisienne. Le chèvrefeuille et la menthe, la poussière des chemins trop secs soulevée par les boules de pétanque qui retombent lourdement, les lézards qui fuient sur les petits murs de pierres. Les promenades après le dîner, on parle aux vaches, on grimpe sur les meules de foin, on perd sa tong dans un fossé, on se pique aux orties, on rit.

Le Paradis c’est la balançoire dans le jardin, une simple planche de bois suspendue avec de la corde solide à une branche du vieux pommier par M. Lagarde pour Magaly, petite-fille de Mme Claire. Elle et moi construisons des cabanes en branchages et en couvertures de laine, nous nous y invitons à prendre un chocolat à l’eau dans des tasses de dînette : chacun notre tour allons subtiliser un peu de Nesquik dans la cuisine de notre mère. Dans l’herbe, nous jouons avec nos Schtroumpfs, leur fabriquons des meubles avec des chutes de planches, leur imaginons des aventures.

Le Paradis c’est l’apéritif sous la tonnelle abritée par les arbres. « Assoyez-vous donc ! » nous lance Mme Claire en désignant d’anciens sièges de tracteurs sur lesquels elle a cousu des coussins moelleux. Les grands rient, disent des bêtises que nous n’avons pas le droit de répéter. Magaly et moi nous gavons de biscuits salés avant de retourner à notre balançoire.

Le Paradis c’est les courses du matin. La pochette promotionnelle à 20 francs, renfermant des Télé Junior invendus, achetée à Unico. Le marché à ciel ouvert, dominé par une gigantesque statue de la vierge, où mon père me dégote un vieux Pif gadget chez un bouquiniste. La poissonnerie bruyante et son carrelage glissant. Le petit marchand de fromages de chèvre, humblement installé sur des tréteaux. Les brioches délicieusement tressées et dorées.

Le Paradis c’est Papa et Maman qui ne s’engueulent plus. Seule trêve annuelle, avec Noël. Des repas qui se déroulent dans la quiétude autour de délicieuses langoustines. Papa et Maman ont l’air de s’aimer. Je ne suis pas obligé de finir mon assiette pour retourner jouer avec Magaly.

Le Paradis c’est la plage. L’Océan qui fait de gros rouleaux, les châteaux de sable fabriqués avec mon vieux seau de fromage frais à l’effigie de Casimir. Les balades sur les rochers, les petits crabes qui essaient de se cacher. Le goûter, petits pains au lait de la boulangerie et barre de chocolat Milka, pris sur la serviette.

Et puis, après un mois de bonheur plein, j’étais expulsé du Paradis, sans pourtant avoir jamais approché l’Arbre de la connaissance, seulement le vieux pommier. Les adieux se faisaient dans les larmes. On s’embrassait en se promettant de s’écrire régulièrement, avant de revenir l’année suivante. Mme Claire pleurait comme si c’étaient ses propres enfants qui partaient. J’avais le cœur brisé.

Quand M. Lagarde fut parti, suivi de près par Mme Claire, et que la maison où nous passions nos vacances fut rachetée puis transformée en résidence secondaire de luxe, je compris que le Paradis n’existait pas.

Vraiment ? Pourtant, son écho résonne encore dans ma mémoire.

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3 septembre 2011 6 03 /09 /septembre /2011 17:07

Pourquoi redoutais-je tant cette classe de mer ? Parce que, malgré mes dix ans, j’avais le cœur brisé de devoir m’éloigner ainsi de ma mère. Celle-ci, depuis ma naissance, ne s’était jamais séparée de moi plus de quelques heures par jour, et elle m’avait si bien dressé, je lui étais si fidèle, que j’aurais pu fuguer du centre de la presqu’île de Rhuys, dans le Morbihan, où notre classe séjournait, et faire le trajet de retour jusqu’à Paris à pieds, un peu comme dans ces faits divers qui relatent des histoires de chiens parcourant des centaines de kilomètres pour retrouver leurs maîtres.

Pas une journée de répit : chaque jour, excepté le dimanche, s’entend, je recevais une lettre de plusieurs pages dans laquelle ma mère me racontait tous les détails banals et prévisibles de son quotidien, du lever jusqu’au coucher. Si bien que toutes ses lettres se ressemblaient, ses journées étant toutes identiques. Lorsque le facteur arrivait au centre de vacances, tous les gamins trépignaient d’impatience, espérant recevoir un courrier de leurs parents. Nombreux étaient les déçus. Moi, je restais dans mon coin, priant silencieusement pour qu’il n’y ait rien pour moi, mais effrayé à l’idée que ma mère m’ait oublié, jusqu’à ce qu’une de mes institutrices, Mme D., me rejoignît en me tendant la lettre que j’espérais et redoutais à la fois : « Tiens, c’est encore ta mère ! », souriait-elle, méprisante. Alexandre et sa bande, ravis, chantaient : « Maman a encore écrit à sa fifille ! Maman a encore écrit à sa fifille ! ». Un matin, Adrian les interrompit brutalement en criant : « Vous êtes cons ou quoi ? Moi, j’aimerais bien recevoir du courrier de mes parents, je n’en ai jamais ! Vous non plus, d’ailleurs. Vous êtes jaloux de lui ? ». Aucun gamin ne répondit : Adrian était le seul à qui Alexandre ne tenait pas tête, sans doute parce qu’Adrian était le seul qui tenait tête à Alexandre.

Lorsque, quelques jours avant notre départ, Adrian avait pris l’initiative de me proposer de partager sa chambre, j’avais ressenti un grand soulagement : l’idée de côtoyer de trop près Alexandre ou l’un de ses gars me terrifiait, or il n’y avait que des chambres de deux lits, impossible d’être seul. Très vite, Adrian et moi avions pris nos habitudes de petit couple : le soir, on se déshabillait dos à dos, pour se mettre en pyjama. Ce n’était pas l’envie qui me manquait de me retourner chaque soir, mais je ne voulais pas abuser de la confiance de mon sauveur et je respectais donc sa pudeur. Une seule fois, je le vis nu, dans les douches. Mais j’y reviendrai plus loin.

Partons à la pêche à l’éperlan : encore une épreuve à passer ! Un après-midi, on nous apprit à le pêcher avec un fil de nylon, et un hameçon recouvert de Vache qui rit. Dès que je vis l’hameçon, je l’imaginais odieusement enfoncé dans la bouche de ce petit poisson qui devait bien avoir des terminaisons nerveuses et ressentir la douleur. Il me paraissait impensable de faire subir une telle barbarie à un petit animal sans défense ! Tandis que mes camarades, à plat ventre sur le ponton, s’exclamaient toutes les trente secondes : « J’en ai un ! », moi j’attendais, l’hameçon vierge de toute nourriture plongé dans l’eau. Croyant cacher mon double jeu, je boulottais discrètement toutes mes portions de Vache qui rit. Mais, alors que je finissais la dernière, Mme D. me prit par le col et s’écria : « Regardez-moi ça ! Il est tellement gourmand qu’il a mangé toutes les Vache qui rit et qu’il n’a pas pêché un seul éperlan ! ». Tous les enfants riaient, les filles comme les garçons, même Adrian. J’étais là, penaud, le fil de nylon pendant, jusqu’à ce que je sentis quelque chose de glacé contre ma jambe nue. Stupéfait, je constatais qu’un éperlan avait eu la bêtise de mordre à mon hameçon, malgré l’absence de fromage. Peiné, je me sentais incapable de lui enlevé l’hameçon, j’avais mal pour lui : j’étais capable d’empathie pour un éperlan ! Ni une, ni deux, Adrian me prit le fil des mains, décrocha le poisson et le tendit vers l’institutrice : « Vous voyez, il en a quand même pris un, Madame ! ». Elle lui fit remarquer que ça ne nourrirait pas un chat et que de toute façon, je serais privé de friture d’éperlans pour me punir de ma gourmandise. Dire que je trouvais la Vache qui rit écœurante !

Le soir-même, une autre institutrice, plus aimable, leva la punition, et c’était tant mieux : l’odeur de friture faisait gémir mon estomac affamé par l’air marin, et je me régalais de ces petits poissons grillés que je me promettais de manger à nouveau si j’en avais un jour l’occasion ! Je découvrais alors qu’il fallait parfois faire preuve de cruauté afin de satisfaire ses envies primaires, ignorant que deux siècles plus tôt un certain marquis avait poussé ce raisonnement à ses extrémités, plaçant des êtres humains là où je n’envisageais que des éperlans.

Les journées, qu’elles soient consacrées à la pêche, à la voile ou à la visite d’un tombeau romain, se terminaient toutes par le même rituel : la douche. Des petites cabines nous permettaient, si on le souhaitait, de respecter nos pudeurs enfantines. Adrian m’y accompagnait systématiquement, pressentant peut-être que je passerais un mauvais quart d’heure si je me retrouvais seul, nez à nez avec Alexandre. Un jour, tandis que j’attendais qu’Adrian eût fini et sortît de sa cabine de douche, il entrouvrit la porte pour me demander de lui passer la serviette qu’il avait oubliée sur le petit banc où nous posions nos affaires. Il était nu, dégoulinant d’eau, aussi beau et fort que tout ce que j’avais pu imaginer. Je fus surpris par son sexe qui était long et gris. Je n’imaginais pas qu’on pût avoir un zizi de cette couleur ! Le pénis d’Adrian provoqua en moi un sentiment inédit : le désir de voir plus longtemps, d’observer de près, de toucher. La nudité d’Adrian me bouleversait. Je n’étais pas encore capable de mettre le mot « attirance » sur ce que je ressentais, mais ce que je savais, c’est qu’un garçon devait trouver les filles jolies, et non les garçons bouleversants.

Il fallait décidément que je me prouve et que je prouve aux autres que je n’étais pas « une fille ». Alexandrine, que je connaissais depuis l’enfance et qui fréquentait Bahia et Agathe, devint ma cible. Je la courtisais, comme un garçon maladroit de dix ans peut le faire, un garçon de surcroît convaincu à tort d’être laid : je lui faisais des dessins, qu’elle aimait, lui écrivais des poèmes, qu’elle ne lisait pas, essayais de lui faire des bisous, qu’elle repoussait avec un petit rire. Mais ni Adrian, ni Alexandrine, ne parvenaient à me faire oublier celle qui avait tout pouvoir sur moi et qui se rappelait chaque jour à mon bon souvenir, via la Poste. La séparation devenait, jour après jour, insupportable.

Jusqu’à ce matin-là où, après avoir reçu une de ces lettres que je désirais et qui m’humiliait, je montais tout en haut d’un escalier extérieur et passais par-dessus la rambarde de sécurité. Je ne saurais dire aujourd’hui à quelle hauteur je me trouvais : ce qui est certain, c’est que si je ne m’étais pas tué en tombant sur la tête, je me serais à coup sûr estropié à vie. J’étais persuadé que ma dernière heure était arrivée, non que je le désirais, mais je ne voyais pas comment mettre fin autrement à la souffrance morale qui irradiait dans tout mon corps. Bahia me découvrit et faillit tomber sur les fesses en levant la tête. Elle essaya de monter l’escalier.

- Recule ! Si tu montes, je saute ! pleurai-je.

- Mais pourquoi ?

- Parce qu’Alexandrine ne veut pas de moi !

Que pouvais-je répondre d’autre ? Je ne souhaitais pas laisser après ma mort l’image de « la fille qui s’est tuée parce qu’elle souffrait d’être séparée de sa maman ». Je me ressaisis soudain, me disant que si je mourrais maintenant, j’étais certain de ne jamais revoir ma mère, tandis que si je souffrais encore quelques jours, je la reverrais forcément. Je m’apprêtais donc à repasser la balustrade dans l’autre sens lorsque Bahia revint à la charge, tirant par la manche Alexandrine.

- Il va sauter pour toi, expliqua mon amie, je t’en prie, dis-lui que tu l’aimes.

- Non, mais ça va pas ? T’as vu sa gueule ? s’exclama Alexandrine grossièrement. Il a qu’à sauter, je m’en fous !

Voilà qui n’arrangeait pas mes affaires : c’est que je n’avais plus du tout envie de sauter, moi ! Comment expliquer à Bahia et à tous mes camarades agglutinés pour admirer le spectacle que finalement, malgré les propos d’Alexandrine, j’avais décidé de vivre ? Heureusement intervint un moniteur qui me pria de descendre immédiatement. Il n’en parla pas aux institutrices et je ne fus pas puni. Il était jeune et redoutait sans doute des reproches pour ne pas avoir mieux surveiller les élèves.

Après cet événement, je me sentis particulièrement serein pendant toute la fin du séjour, comme si j’avais payé une dette envers ma mère : j’avais failli mourir pour elle, n’était-ce pas une preuve suffisante de ma fidélité ? Débarrassé du même coup de mon « histoire d’amour » avec Alexandrine, je pouvais consacrer toute mon attention au plaisir que me procurait la vue d’Adrian. Un soir, tard, alors que nous étions couchés depuis une bonne heure germa en mon esprit un plan diabolique pour à la fois satisfaire mes désirs nouveaux, tout en sauvegardant les apparences. Je voulais me coucher nu auprès d’Adrian afin de jouir avec lui d’une proximité à laquelle seule Agathe avait droit. Mais il fallait que je le fisse apparemment en toute innocence. C’est ainsi que je devins somnambule.

Je me levai et me déshabillai, faisant assez de bruit pour réveiller Adrian, mais pas pour attirer l’attention hors de la chambre. Un fois mon pyjama retiré, nu comme Adam avant l’affaire du fruit défendu, j’étendis les bras devant moi, comme le faisaient les somnambules dans les dessins animés. J’ignorais alors qu’un vrai somnambule n’adopte pas cette posture idiote. Manifestement, Adrian l’ignorait aussi. Il alluma sa lampe de chevet. Je gardais les yeux clos, mais au lieu d’aller m’allonger près de lui, je me dégonflai et me rallongeai sur mon propre lit. Une éternité parut s’écouler ainsi. A travers mes paupières, je voyais qu’il y avait toujours de la lumière. J’entendis Adrian qui se leva subrepticement et, en silence, convaincu sans doute que je dormais, il s’approcha de moi. Je frémis en le sentant si proche, observant longuement mon corps nu. Je n’arrive pas à me souvenir si j’avais une érection : j’étais encore à quelques semaines du début de ma puberté, et je ne parviens pas à me rappeler si, avant celle-ci, mon excitation se manifestait déjà de cette manière. Tout ce dont je me souviens, c’est de ce sentiment de volupté dans tout mon corps que me procura le simple regard d’Adrian, bien plus intense que tout ce que j’avais pu ressentir jusqu’alors. Adrian retourna se coucher et éteignit. Au matin, je feignis l’étonnement en découvrant mon pyjama jonchant le milieu de la chambre. Adrian me dit : « Tu as peut-être été somnambule ? », et nous changeâmes définitivement de conversation.

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La classe de mer étant à cheval sur les mois d’avril et de mai, les adultes avaient organisé un petit goûter pour mon anniversaire : c’est en Bretagne que je fêtais mes onze ans, insouciant, ignorant que huit jours auparavant, tandis que nous suivions un cours de voile, naviguant sur l’Atlantique dans nos petits bateaux en aluminium, un nuage radioactif provenant de Tchernobyl se répandait sur toute l’Europe. D’ailleurs, à mon retour, apprendre la catastrophe de la centrale nucléaire ukrainienne était le cadet de mes soucis. Une seule chose comptait : Adrian n’allait pas finir l’année avec nous, il allait rentrer en Belgique avec ses parents. Il partait comme il était venu, sans début et sans fin, sans joie, sans peine, sans larmes, exceptées celles d’Agathe.

J’obtins mon passage en classe de 6è, de justesse, car je n’étais pas très studieux. Cette première année de collège allait être riche en bouleversements : outre l’entrée dans un nouvel établissement scolaire, j’allais devoir affronter un Alexandre plus acharné contre moi que jamais, et me trouver perturbé par le commencement précoce de ma puberté.

Ce texte est © Jay. Toute reproduction interdite sans l’autorisation explicite de son auteur.

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