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avertissementCe blog n'est pas un site pornographique. Cependant, il est composé de textes rédigés par un adulte qui ne s'auto-censure pas, et dans lesquels il peut être question de sexualité. For adults only. Sólo para adultos. 為成年人. Nur für erwachsene. Vuxna endast. Voksne bare. Alleen voor volwassenen. Solo per adulti. 大人のみ. только для взрослых. للكبار فقط

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Grâce à de savants calculs et à un sens de l'observation hors du commun, je peux affirmer qu'il y a curieux en train de parcourir ce weblog.

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22 mai 2012 2 22 /05 /mai /2012 16:08

Approcha 1998, ajoutant quelques poussières à mes 23 ans, et… j’étais toujours vierge. Mon aventure avec Samir n’avait fait que rendre plus compliqué mon passage à l’acte puisqu’il ne suffisait plus au garçon que je rencontrais de me plaire physiquement pour que j’en tombasse amoureux, mais que son esprit et son cœur réussissent à me séduire. Mais le temps passait, la perle rare demeurait cachée dans son huître, et ma testostérone contrariée me rendait fou de désir et d’irritabilité.

C’est ainsi que celui qui attira mon œil dans l’amphithéâtre Richelieu n’eut finalement pas besoin de me prouver son intelligence, sa gentillesse ou son humour pour devenir ma nouvelle obsession : son pantalon de survêtement gris moulant ses fesses rondes à la perfection, et formant à l’opposé une protubérance généreuse qui témoignait du cadeau que la Nature lui avait offert, suffirent à me donner le vertige. A chaque cours que nous partagions, je ne pouvais empêcher mon regard de revenir à lui, avec une régularité de métronome.

frederic-1.jpg

Il avait un je-ne-sais-quoi de séducteur italien dans le visage, ses cheveux châtains tombaient en mèche lourde sur son front que plissait un sourcil moqueur lorsqu’il plaisantait avec la fille qu’il fréquentait, son petit nez rond de lutin me rappelait celui de Damien, et ses lèvres sensuelles, toujours riantes, ouvertes sur des rangées de dents blanches et gourmandes, faisaient battre le sang sur mes tempes jusqu’à me donner des fourmis dans le crâne.

Ses épaules sportives et sa silhouette bien faite, sans embonpoint mais un peu ronde, juste ce qu’il fallait pour accentuer son aspect bon vivant et rieur, troublaient ma vue de plaisir. Je n’attendais qu’une chose : que sonne la fin du cours magistral ou du T.P. pour qu’il se lève et que je puisse admirer la forme de son sexe que soulevaient des bourses que je devinais volumineuses, quel que fut la coupe ou la matière du pantalon qu’il portait. La vue à rayon X de Superman m’aurait été tout à fait superflue tant ce garçon semblait incapable de dissimuler ses parties intimes, d’autant qu’il ne lui vint jamais la fantaisie de porter une robe ou un boubou. Quant à mon imagination, elle déduisait le peu qui ne se voyait pas.

Mes études, mes parents, mes amis, tout devint accessoire dans l’ombre de la pensée qui tournait sans cesse autour de mon bel Italien. Maya, en peine de me voir soupirant, gobant les mouches, presque bavant, les yeux fixés sur lui à longueur de temps, s’arrangea pour que nous parlions à cet être débordant de sensualité, et à sa camarade.

Le courant passa plutôt bien avec lui. Frédéric, qui finalement n’avait pas une goutte de sang latin dans les veines, me prit rapidement en sympathie. C’était un garçon simple, à l’humour facile et charmant. En revanche, son amie, Karine, nous battait froid. Petite brune, le visage blafard taillé à la serpe, les jambes arquées de danseuse malhabile, elle ne s’adressait à nous qu’en nous regardant d’un œil dédaigneux par-dessus ses étroites lunettes dépourvues de fantaisie. Frédéric me confia qu’ils étaient sortis ensemble pendant quelques temps, qu’il avait rompu, mais qu’il lui avait proposé de rester bons camarades. De toute évidence, elle se méprenait et, jalouse, se méfiait de Maya. C’est du moins ce que je crus pendant quelques temps.

Souvent, Frédéric me proposait une petite balade « entre hommes », aux jardins du Luxembourg, ou jusqu’à un bar sympa. Nous bavardions de littérature et échangions des banalités, comme si nous nous étions connus depuis longtemps. Bien qu’ayant découvert son hétérosexualité, je ne pouvais m'empêcher de garder espoir, un espoir que j’entretenais malgré moi à grands renforts de fantasmes qui me poussaient à me masturber un grand nombre de fois au quotidien, jusqu’à la douleur.

Dans l’un de ces fantasmes, Frédéric m’entraînait dans les toilettes de la fac, sous prétexte de prendre un cappuccino, puisque c’est là que se trouvait l’un des distributeurs de café. Enfermés, nous nous embrassions alors avec passion, tandis qu’à travers son survêt’ gris, je tâtais son pénis que je convoitais depuis tant de semaines, jusqu’à ce qu’il me dise : « Je savais que tu avais envie de moi. Et, moi, j’aimerais bien me faire sucer par un mec, pour voir ce que ça fait. » Sans attendre davantage, je m’agenouillais devant lui, baissais son pantalon, son slip, d’où jaillissait une queue grossissante à vue d’œil qu’il m’agitait sous le nez avec espièglerie. Je caressais son méat avec la pointe de la langue et faisait tout ce que je n’avais encore jamais fait, si ce n’est mainte fois en esprit, espérant le moment où les jets de son sperme éclabousseraient mon visage. Généralement, ce fantasme s’arrêtait là, au milieu de deux ou trois mouchoirs en papier.

frederic2.jpg

Un après-midi, Frédéric et moi, sirotions des milkshakes dans un petit bar à l’américaine du quartier latin, dont le design se voulait très années 60, remplacé depuis par un fast-food mondialement connu, indigeste et invasif. Après un silence, durant lequel Frédéric semblait songeur, il me dit :

– Je voudrais te parler de Karine. Tu sais que je suis sorti avec elle ?

– Oui, je sais. D’ailleurs, si tu veux mon avis, elle doit encore tenir à toi. Il est évident qu’elle est jalouse de Maya !

– Non, pas de Maya ! De toi !

– De moi ? Comment ça de moi ?

– Bah, à cause de mon passé. Elle sait qu’avant de la connaître, j’ai eu des expériences avec des mecs.

Mon cœur se mit à battre jusqu’à sonner les cloches tout au fond de mes oreilles. Et, c’est rempli d’une espérance et d’une joie inédites, que j’écoutai Fred me raconter sa première fois, quand il était lycéen, pendant une colonie de vacances, avec un jeune moniteur, à peine plus âgé que lui, qui le rejoignait chaque soir sous sa tente. Quand il eut fini son récit, je lui demandais, la voix quelque peu tremblante :

– Karine a-t-elle des raisons d’être jalouse ?

– Bah, déjà, comme moi, elle s’est bien rendue compte que je te plaisais.

– Ah ? tu savais ? dis-je, me sentant ridiculement naïf.

– Oui. Et puis, elle me connaît bien. Elle doit me soupçonner d’être attiré par toi.

Après un silence au cours duquel je ne pouvais m’empêcher de lui sourire, tandis qu’il me regardait avec intensité, il reprit :

– Au risque de te décevoir, je ne suis pas sûr de vouloir à nouveau coucher avec un mec. Je pense que je suis hétéro. Et, à vrai dire, je m’inquiète un peu pour toi. Nous devrions arrêter de nous voir.

– Je ne comprends pas.

– Disons que Karine est… bizarre. Il y a quelque chose en elle qui me met mal à l’aise. C’est pour ça que j’ai cassé. Et c’est aussi pour ça que je n’ai pas osé la rejeter complètement et que je lui ai proposé que nous restions amis.

– Mais, tu entends quoi par « bizarre » ? tu la crois folle ?

– Non ! Non, pas du tout ! Enfin, je ne sais pas. Peut-être. En tous cas, je n’aime pas la façon dont elle te regarde.

– Mais, tu me plais vraiment beaucoup. Et si jamais, en fin de compte, tu as envie de sortir avec un garçon, il n’y a aucune raison pour que nous nous l’interdisions à cause d’elle ! Et puis, elle n'a pas à le savoir !

Nous nous séparâmes en nous promettant de faire le point chacun de notre côté et d’en reparler dès le lendemain. Je ne dormis pas beaucoup, à la fois excité par la possibilité de voir mes fantasmes avec Frédéric se réaliser, et dubitatif en repassant dans ma mémoire des propos de Karine, empreints de sous-entendus, que j’avais crus destinés à Maya.

Le lendemain, dans la cour d'honneur, alors que je cherchais Frédéric du regard, Karine fondit sur moi : « Faut qu’on parle, suis moi » me lança-t-elle d’un ton ferme qui ne tolérait pas le refus. Elle m’entraîna vers un étroit escalier de la Sorbonne, peu fréquenté, et même peut-être bien interdit aux étudiants.

– Tu veux qu’on parle de quoi ? demandais-je.

– Pas ici. Attends que nous soyons vraiment tranquilles.

Nous parvînmes tout en haut de l’escalier en colimaçon, sur un petit pallier aboutissant à une porte en acier fermée à clef, sur laquelle une petite pancarte rouge annonçait : « Privé. Passage interdit sauf personnel autorisé. »

– Alors ? insistai-je une fois de plus.

– Je sais que tu plais à Frédéric, mais je dois te mettre en garde : il a toujours été attiré par des garçons, qu’il jette après avec couché avec, une ou deux fois. Pour lui, les mecs, c’est pas sérieux. Or, je sens bien que tu es gentil, que tu vas t’attacher et qu’il va te faire souffrir.

– Tu te trompes, Karine. Je ne cherche pas forcément une relation sérieuse et durable avec Frédéric. Et j’ai bien conscience que lui et moi nous dirigeons plus vers une histoire de sexe que vers une histoire d’amour.

Les yeux de Karine lancèrent des éclairs. Elle reprit :

– Bon, je vais être plus explicite. Je n’ai pas renoncé à Frédéric. Et lui, il tient encore à moi, même s’il ne s’en rend pas encore compte. Je vais tout faire pour qu’ on soit de nouveau ensemble, et je ne veux pas que tu viennes tout gâcher. Alors, tu vas cesser de le voir.

– Ce n’est pas comme ça que ça marche, rétorquais-je d’une voix qui tentait de se faire aussi sèche que la sienne, c’est à Frédéric de choisir. Et que le meilleur gagne !

Avec une rapidité extraordinaire, elle me poussa violemment contre la rampe et, s’appuyant de toutes ses forces contre mon torse, m’obligea à me pencher, dos au vide. Alors, elle me siffla entre ses dents, avec une férocité hystérique : « Tu es vraiment long à comprendre, sale pédé ! Ouvre bien tes oreilles, ce sera mon dernier avertissement. Frédéric est l’homme de ma vie, et je suis prête à tout, tu entends ? à TOUT, pour qu’il soit à moi ! »

Je soutenais son regard, mais sans oser lui répondre, craignant de jeter de l’huile sur le feu de sa folie furieuse, et de me retrouver à descendre l’escalier sans user les marches. Elle relâcha son étreinte et, sans un mot de plus, partit d’où nous étions venus. Je la laissai prendre un peu d’avance, avant de suivre le même chemin.

« Bizarre »… oui, en effet, elle est « bizarre », ta copine, Frédéric. Elle est même un peu cinglée, voire un peu sociopathe sur les bords. Bien que secoué, je tentais de rassembler mes idées un peu embrumées par l’émotion, tout en essayant de décider si je me rendais en cours, ou si j’allais marcher un peu pour réfléchir. Ma décision fut vite prise et, alors que je me rendais vers la sortie, je me retrouvai face à face avec Frédéric :

– Salut, Jay ! On se voit à 10 heures ? On ira prendre un pot ?

– Non. Non, désolé, Frédéric, nous n’irons pas prendre un pot. Je pense qu’il vaut mieux que nous cessions de nous voir, tu avais raison.

– Mais… commença-t-il, visiblement en pleine confusion, là, c’est moi qui ne comprends pas.

– On a dit qu’on allait réfléchir. J’ai réfléchi, et j’ai décidé.

– Bon, dit-il simplement.

Il se détourna de moi et s’engouffra dans le hall des amphi. Jamais je ne m’étais encore rendu compte à quel point je pouvais être pragmatique. En quelques secondes, j’avais mis à plat sur la table le fait que je n’étais pas amoureux de Frédéric, et que le sexe seul ne justifiait pas de prendre le risque de me retrouver menacé par une psychopathe en herbe. C’était si simple.

Je dirigeai mes pas vers les jardins du Luxembourg. J’attendis de trouver un banc, un peu isolé sous les frondaisons, de m’y asseoir, et de ranger méticuleusement mes lunettes dans leur étui, pour m’abandonner aux larmes.

 

Trois jours passèrent, durant lesquels j’évitais soigneusement tout contact avec Frédéric et sa tarée de copine. Jeudi soir, c’était le rendez-vous hebdomadaire chez mon psy. En règle général, il ne parlait pas, je parlais un peu, il m’annonçait que c’était fini jusqu’à la semaine suivante, et je signais le chèque. Cette fois-là, c’est lui qui commença à parler.

– Il ne faut pas paniquer. Mais, je dois vous dire que votre mère m’a téléphoné hier pour me demander si vous étiez homo. Bien entendu, je lui ai fait savoir par ma secrétaire que je refusais tout contact avec elle, vous n’avez rien à craindre. Comme vous le savez, je suis astreint au secret professionnel.

– Mais, pourquoi… comment… ? balbutiai-je.

– Elle a expliqué à ma secrétaire que quelqu’un lui a téléphoné hier matin, de manière anonyme, pour lui demander si elle savait que son fils était « pédé ». D’après la voix, elle pense que c’était une jeune fille.

– Je ne comprends pas, je ne vois pas qui…

– C’est peut-être une invention de votre mère, pour découvrir la vérité. Elle a peut-être prêché le faux pour savoir le vrai. Ou bien, je ne sais pas, vous vous êtes disputé avec quelqu’un ? Une étudiante ? Une amie ?

– Non, non, je ne vois pas, répondis-je, voyant parfaitement en pensée le visage de Karine.

J’étais effondré. Ce que je redoutais depuis si longtemps m’était tombé dessus. Combien de fois avais-je entendu ma mère répéter que si je devenais drogué ou pédé, elle me renierait et me mettrait à la porte ? Où allais-je dormir ce soir-là ? Comment allais-je pouvoir continuer mes études s’il fallait que je travaille pour me loger et me nourrir ? Comment allais-je trouver un emploi en n’ayant pas tous mes diplômes ?

De retour en banlieue, je traversais la cité en prenant soin d’éviter ma mère qui, comme depuis toujours, cancanait, en compagnie des plus belles langues de vipères de chaque immeuble. Mon père n’était pas encore rentré. J’étais donc seul, ce qui faciliterait mon départ. Je pris mon grand sac de sport et y fourrai tout ce qui me semblait indispensable et qui pouvait y rentrer. Dans le même temps, mon cerveau tournait à toute vitesse : où aller ? Dans le petit studio de Jean ? Chez Kim ? Et si j’appelais Maya ?

Le cliquetis de la clef dans la serrure de la porte mit un terme brutal à mes projets. Ma mère, de retour ! Y avait-il si peu de rumeurs intéressantes à propager aujourd'hui qu’elle revenait déjà ? En fin de compte, j’allais devoir l’affronter avant de m'en aller.

– Qu’est-ce que tu fais ? me demanda-t-elle, effarée.

– Je prépare mes affaires pour partir.

– Hein ?! Et tu vas où comme ça ?

– Le Docteur Renaud m’a dit que tu savais que j’étais homo. Je m’en vais.

– Je vois pas le rapport, pourquoi tu t’en vas ?

– Tu as toujours dit que si un de tes fils était pédé, ce ne serait plus ton fils.

– C’est pas vrai, j’ai jamais dit une chose pareille !

– Maman… soupirai-je, fatigué par son habituelle mauvaise foi.

– Ou alors, oui, d’accord, je l’ai peut-être dit une fois, comme ça, mais c’était pour que tu n’aies jamais l’idée de devenir drogué ou péd… homo, rectifia-t-elle.

– Mais… on ne choisit pas de devenir homo, pas plus qu’un hétéro choisit de l’être. On l’est ou on ne l’est pas. Non seulement, tu ne pouvais me dissuader de rien du tout, mais en plus je culpabilise et je suis terrifié depuis les premières fois ou j'ai ressenti quelque chose pour certains de mes copains.

– Mathieu et toi, vous étiez « ensemble », hein ? Et, avant, avec Damien… quand tu dormais chez lui, vous…

Je n’ai pas envie de parler de ça avec toi ! C’est ma vie privée. Si j’étais hétéro, ce serait pareil ! Maintenant, je m’en vais, je ne vais pas rester ici alors que je sais que tu me détestes.

– N’importe quoi ! je ne te déteste pas. Tu es mon fils, je t’aime, dit-elle en commençant à pleurer.

Pitié, pas de larmes, mets-moi plutôt à la porte, songeai-je.

– Quand tu étais petit, se reprit-elle, tu voulais toujours qu’on t’achète des poupées et de la dînette, et tu jouais toujours avec les filles, notamment Bahia et Alexandrine. Alors, je redoutais déjà que tu sois homo, mais je m’en doutais un peu, et je savais que ça ne changerait rien, que je t’aimerais quand même.

– ... Merci, dis-je simplement, estomaqué et ému par ces paroles auxquelles je ne me serais jamais attendu de la part de ma mère à l’esprit si borné. 

– Allez, range tes affaires, avant que ton père rentre. Il ne doit rien savoir. S’il savait que tu es homo, il le prendrait mal, ce serait un tel choc pour lui qu’il risquerait de faire une récidive et d’avoir un autre cancer.

En entendant ces derniers mots, j’étais partagé entre l’envie de prendre mon sac de sport et de partir en claquant la porte, et la culpabilité d’être un mauvais fils. Pire : un mauvais fils cancérogène.

 

Ce texte est © Jay. Toute reproduction interdite sans l’autorisation explicite de son auteur.

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30 janvier 2012 1 30 /01 /janvier /2012 12:11

zetsuai 1

Début 1997, Maya parut soudain s’intéresser à ma vie amoureuse. Ou peut-être souhaitait-elle simplement « arranger un coup » pour l’un de ses amis ? Elle me parla d’un certain Samir, garçon qu’elle fréquentait depuis le lycée, ne tarissant pas d’éloge à son sujet : il était beau, amusant, gentil, homo (ce qui pour Maya, bisexuelle, était en soi une qualité), et… célibataire.

– Tu ne voudrais pas que je te le présente ?

– Bah, tu sais, moi, les rendez-vous arrangés… J’espère encore rencontrer le prince charmant, au détour d’une rue. On se bousculerait par mégarde, je laisserais tomber mes livres, il m’aiderait à les ramasser. Et ce serait un coup de foudre réciproque.

– Oui, c’est mignon. Mais, si tu ne veux pas rester seul toute ta vie, il va falloir tôt ou tard que tu renonces à tes clichés et que tu forces un peu le destin.

– Tu as sûrement raison, admis-je à contrecœur.

Ma camarade me proposa, dans un premier temps, d’échanger quelques lettres avec son ami, acceptant volontiers de devenir notre factrice. D’emblée, je fus charmé par une écriture dont l’élégance du graphisme rivalisait avec une expression séduisante et en tout point correcte. Samir évoquait son goût pour la lecture, le dessin, qu’il pratiquait et dont il m’envoya un échantillon, la peinture, à laquelle il s’essayait. S’il était aussi beau que Maya me l’avait laisser entendre, le but de ma quête amoureuse touchait sans doute à sa fin. A condition que je lui plaise tout autant, bien sûr !

Il faut croire que mon courrier lui plut puisqu’il me donna son numéro de téléphone, me proposant de l’appeler pour que nous convenions d’un rendez-vous. Timide et, surtout, ne pouvant réellement m’isoler pour téléphoner, dans l’appartement de mes parents, j’écourtai l’appel au strict nécessaire et, deux jours plus tard, nous nous retrouvâmes près de Nation.

Au lieu convenu, je vis attendre un garçon brun, grand, au teint mat, de toute beauté. Il m’évoqua immédiatement un jeune prince arabe, prêt à me défendre, cimeterre au poing, dans un désert oriental plein de poésie et de danger. Il était là, mon prince charmant ! Ma seule erreur avait été de l’imaginer caucasien et aristocratique.

– Bonjour. Excusez-moi, êtes-vous Samir ? demandai-je, soudain convaincu que ce ne pouvait être lui et que j’allais me payer la honte de ma vie.

– Ouais. Tu es Jay ? Salut.

Il me fit la bise aussitôt, avec la même précipitation que s’il avait l’intention de me filer un coup de boule par surprise.

– Ça te dérange pas si on va dans une boutique de manga ? Je veux m’acheter des manga.

– Pas de problème, répondis-je, un peu hébété par un certain contraste entre mes premières impressions et les suivantes.

Il se mit à me parler de « yaoi manga », genre de bande dessinée japonaise mettant en scène des relations plus ou moins torrides entre garçons. Cela me fit d’autant plus plaisir que, moi-même, je m’intéressais à ces manga qui venaient de débarquer en France, et qui stimulaient de manière intense mes phantasmes. Il fut question, notamment de Bronze - Zetsuai since 1989, un titre de Minami Ozaki, dans lequel un garçon faisait « l’amour » à un autre en le contraignant, avec des chaînes, des cordes, ou à la seule force de ses muscles. Inutile de dire que, depuis mon aventure avec Damien, ce genre de rapport mettait considérablement en ébullition mon imagination.

Pourtant, je fus étonné, et un peu déçu, que notre conversation se bornât aux manga. A travers son courrier, il m’avait semblé que Samir était curieux et cultivé, et que ses lectures devaient s’étendre à d’autres domaines. Mais, je fus surpris davantage par ses airs mal dégrossis et sa nonchalance d’adolescent invertébré. Je me demandais si, dans le désert, je pourrais vraiment compter sur lui.

Je le quittai avec un certain soulagement, et après avoir dû refuser trois fois de le suivre jusque chez lui.

– Alors, comment tu le trouves ? me demanda Maya, qui m’attendait de pied ferme devant la fac.

– Bah… il est beau. Oui, enfin, il est beau.

– Tu n’as pas l’air convaincu ?

– En fait, en lisant les deux lettres qu’il m’a envoyées, je ne l’imaginais pas du tout comme ça…

– Tu sais, il est timide, lui aussi, il ne faut pas le juger sur une première rencontre. Donne-lui une seconde chance.

Ce que je fis.

Et, dès que je le revis, je sus que Maya avait raison.

– Salut Jay ! Je suis content de te revoir, me dit Samir en posant délicatement un baiser sur ma joue.

– Salut, répondis-je avec beaucoup d’à-propos, ne pouvant m’empêcher de devenir rouge écarlate, tant je me sentis fondre de plaisir.

Il sentait bon, ses manières étaient douces et confiantes. Sa conversation me charma. Tout ce qui m’intéressait semblait l’intéresser, tout ce qui le ravissait m’enchantait. Fin gourmet, il m’invita dans un restaurant indien où les mets proposés étaient succulents. Je lui découvris également une simplicité et un sens de l’humour qui n’avait plus rien à voir avec la froideur guindée qu’il avait affectée lors de notre premier rendez-vous. C’était bien simple : le garçon de cette seconde rencontre était l’auteur des lettres que j’avais reçues, le premier n’avait été qu’un imposteur. Cette fois, c’est moi qui insista pour que nous nous téléphonions bien rapidement afin de nous revoir, et je regrettai franchement qu’il ne me proposât pas de le suivre chez lui. Sans doute que, la première fois, j’avais refusé un peu trop fermement…

Quand Maya me proposa un repas chez elle, en l’absence de ses parents, en compagnie de Samir, je ne lui cachai pas ma joie et mon impatience de revoir mon prince arabe, mon الأمير العربي.

– Ça te dérange si j’invite aussi son frangin ? me proposa Maya. Je ne le connais pas très bien, ça pourrait être amusant.

– Au contraire, avec plaisir, je suis curieux de connaître le frère de Samir, répondis-je sincèrement, bien que ne comprenant pas en quoi cela pouvait être « amusant ».

Le jour venu, quelle ne fut pas ma déception en retrouvant chez Maya, l’espèce de rustre du premier rendez-vous ! Lourd, vaniteux, pas drôle, ce garçon souffrait-il donc de troubles de la personnalité ? J’avais l’impression d’avoir rencontré Docteur Jekyll et Mister Hyde. J’en venais même à regretter l’absence de son frère qui n’avait pu se rendre disponible : j’ignorais s’il s’agissait de son aîné ou de son cadet, mais peut-être celui-ci était-il aussi beau, tout en possédant, avec constance, lui, les qualités éphémères de Samir ?

Néanmoins, grâce à Maya, la journée fut assez agréable. Elle nous montra ses dessins, superbes. J’en profitais pour redire à Samir que j’appréciais beaucoup ceux qu'il m'avait envoyés.

– Je serais curieux, aussi, de voir tes peintures, lui déclarai-je.

– Moi, je peins pas. Je dessine, mais je peins pas.

– Bah ! la dernière fois que nous nous sommes vus, tu m’as dit que tu peignais et que tu me montrerais tes toiles.

– Samir ne peint pas, intervint Maya, mais son frère, Ilan, si. Tu auras mal compris.

– Ouais, je voulais dire que je vais te montrer les trucs qu’il fait, mon frère, compléta Samir.

Je veillai à exprimer le moins possible ma perplexité. Ce garçon était-il un menteur invétéré, au point d’avoir eu l’intention de faire passer l’œuvre de son frère pour la sienne ? Et était-il suffisamment stupide pour avoir, en quelques jours, oublié son mensonge ?

Je chassai ces pensées pour mieux me pâmer devant la gigantesque bibliothèque de la mère de Maya que celle-ci nous montra avec fierté. Des étagères, à n’en plus finir, de livres et de bandes dessinées de toutes les tailles, de toutes les couleurs, de tous les âges. Avec la permission de mon hôte, je prélevai quelques volumes, aussi soigneusement que si je prenais des nouveau-nés dans leurs berceaux, et m’émerveillais de l’ancienneté, du parfum de vieux papier, de la rareté de certains ouvrages. Et je m’étonnai, tandis que Maya et moi exultions, de voir un Samir passablement indifférent.

– Tu ne trouves pas ça génial ? m’exclamai-je à son intention.

– Moi, tu sais, j’aime pas les livres, me répondit-il d’un air blasé.

« J’aime pas les livres. »

Sa déclaration me fit l’effet d’une gifle.

Comme pour fuir le silence pesant qui venait de s’abattre, Maya prétexta un coup de fil à passer et nous laissa tous les deux.

– Tu me plais bien, me lâcha sans précaution Samir. Je te trouve beau. Après notre première rencontre, j’ai rêvé qu’on couchait ensemble. Enfin, qu’on faisait l’amour, quoi.

– Ah ? dis-je, rendu, bavard par le choc.

– Tu me trouves comment ? Je te plais ? Moi, j’ai envie de sortir avec toi. Et plus si affinités, ricana-t-il niaisement.

– Bah, je sais pas…

L’un des plus beaux mecs que j’avais rencontrés ces dernières années était schizophrène et venait de déclarer : « J’aime pas les livres. » Est-ce que je voulais « sortir » avec lui, et « plus si affinité, ah ! ah ! ah ! » ?

Je n’eus pas le temps de la réflexion. Samir s’approcha de moi, et m’embrassa. Il introduisit vigoureusement sa langue dans ma bouche. Je faillis un instant le repousser, puis trouvai cela bien agréable. C’était la première fois qu’un mec m’embrassait sur la bouche, et je constatais avec soulagement que je trouvais cela bien plus plaisant que ce baiser échangé jadis avec Raphaëlle. Ses bras, tenant, fermement les miens, j’étais prêt à m’abandonner à lui, tant j’étais bien, et malgré… « J’aime pas les livres. »

C’est lui qui cessa de m’embrasser, pour me déclarer : « Désolé, j’ai pas pu m’empêcher de te galocher, t’es trop mignon. Je sais que t’es puceau. Je veux pas te brusquer. Je vais te laisser réfléchir. Mais, en tous cas, tu me plais vraiment, maintenant, tu le sais. »

Le soir même, devant mon miroir, je n’arrivais plus à détacher mon regard de mes lèvres, que je caressais du bout des doigts. Ce beau garçon me trouvait mignon au point de ne pouvoir s’empêcher de m’embrasser. C’était si bon. J’avais envie qu’il recommence.

« J’aime pas les livres. »

Non, en réalité, j’avais envie d’être embrassé par celui qui avait écrit ces jolies lettres que j’aimais tant relire, celui qui m’avait emmené au restau indien et m’avait séduit en me faisant rire avec des bêtises et en étant capable de parler aussi bien de manga et de dessins animés japonais que d’arts plus classiques. Ma joie fut sans limite quand, le lendemain, Maya me tendit une lettre de Samir. Enfin, le retour du Samir épistolier qui me plaisait tant !

Chèr Jay, Je t’écrit le soir même du déjeuné chez Maya. Je tenait a m’excusé pour se baisé. Je t’est rouler un patin parceque j’avais envie, mais se qu’il compte c’est que j’ai beaucoup d’estime pour toi a cause de tous nos points commun et qu’avec toi je suis certaint que je vais construir un amour sollide et veritable.

Je continuai à lire cette horreur pendant le cours, puis, une fois sorti de l’amphi, interdit, je m’empressai de retrouver Maya.

– Ce n’est pas Samir qui a écrit ça ? lui affirmai-je sur le ton de l’interrogation.

– Bah, si, pourquoi ?

– Non seulement, ces pattes de mouches, ce n’est pas son écriture, mais en plus, c’est bourré de fautes ! Tiens, regarde, ses premières lettres.

Je pris dans mon sac, pour les montrer à Maya, les précieuses missives que j’avais toujours sur moi, de crainte que ma mère ne joue les Mata Hari dans ma chambre.

– Ah ! bah merde ! s’exclama ma camarade.

– Quoi ?

– Je suis sûre que ce n’est pas Samir qui a écrit ces lettres, il n’écrit pas aussi bien. A mon avis, il les a faites écrire par Ilan, son frère. Je t’ai déjà parlé de son frère, non ?

– Non, pas vraiment. C’est un petit ou un grand frère ?

– Ni l’un, ni l’autre, Samir et Ilan sont jumeaux. Mais c’est vrai qu’Ilan est… différent. Peut-être plus intello. Mais hétéro ! Ou bi, je ne suis pas sûre.

Les pièces du puzzle finissaient de s’emboîter dans ma tête.

– Et, tu crois que Samir aurait pu envoyer son frère à l’un de nos rendez-vous ?

– Peut-être, pour qu’Ilian lui donne son avis sur toi, oui, il m’a déjà raconté des histoires dans lesquelles ils avaient échangé leurs identités. Mais, ça me paraît peu probable : tu t’en serais rendu compte.

– Je m’en suis rendu compte. Mais je suis tellement naïf…

Si je n’ai jamais revu Samir, ce n’est pas tant à cause de ce coup monté qu’en raison de cette déclaration qui me hantait : « Je n’aime pas le livres. » cela m’aurait paru moins grave s’il m’avait dit « Je n’aime pas lire. » On peut ne pas aimer lire, je n’ai aucun jugement à porter à ce sujet, il y a mille et une façons de se cultiver. Mais, dire que l’on n’aime pas les livres a comme un écho d’irrespect et d’autodafé.

Au moins, cette aventure m’apprenait-elle quelque chose d’essentielle : que ce soit pour l’amour ou pour le sexe, j’avais besoin qu’un mec m’impressionne autant par sa personnalité que par son aspect physique. Je me rendais compte que je ne pourrais plus être attiré par un Mathieu : la duplicité et l’égoïsme suffiraient à le rendre laid à mes yeux. Etait-ce un handicap ou un avantage ? Je ne le savais pas, mais c’était ainsi : l’esprit d'un homme m’importait autant que son corps.

 

Ce texte est © Jay. Toute reproduction interdite sans l’autorisation explicite de son auteur.

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23 décembre 2011 5 23 /12 /décembre /2011 10:02

Ma complicité avec Kim ne faisait que grandir au fil des jours. Nous passions ensemble des nuits entières à discuter de questions métaphysiques passionnantes, à écrire des nouvelles, et à rire comme je crois que je n’avais encore jamais ri auparavant. Les questions et les remarques les plus saugrenues nous traversaient l’esprit et nous servaient de réflexions pour des heures et des heures de débat : « Le secret permettant de concevoir le néant est-il dissimulé quelque part dans notre cerveau ? », « Notre évolution peut-elle entraîner l’apparition d’un nouveau sens permettant de comprendre ce néant ? », « Comment pouvons-nous être certains que deux individus perçoivent les mêmes couleurs de façon empirique ? », « Si Dieu est éternel, il ne peut être omniscient car il ignore tout de sa naissance. », « Si Einstein s’était trompé et qu’on pouvait dépasser la vitesse de la lumière, quelle serait la meilleure méthode pour voyager dans le temps ? »

Curieusement, jamais nous ne nous prenions la tête, quelle que soit la complexité du problème que nous évoquions. Peut-être était-ce parce que, systématiquement, nous trouvions le moyen de parler de sexe quel que fût le sujet abordé ! Invariablement, nous parvenions à parler de fellation entre l’évocation d’une théorie de la physique quantique et celle du principe de la construction de la psyché. Peu soucieux de nous prendre au sérieux, nous étions plutôt occupés à laisser libre cours à notre imagination afin d’accoucher de synopsis de nouvelles et de romans qui nous resteraient à écrire. Et les fous rires ponctuaient nos élucubrations les plus scientifiques.

Cette complicité nous fut prouvée d’une manière pour le moins étrange et difficilement explicable. Une nuit, je me réveillai après un rêve marquant car extrêmement réaliste : Kim était en compagnie d’Arnaud, un garçon à la beauté ténébreuse qui lui plaisait fort depuis le lycée, mais que nous avions perdu de vue depuis que nous avions quitté l’établissement. Il la pénétrait langoureusement, sur un drap couleur saumon étendu à même le sol. Le lendemain, Kim me téléphona pour me donner rendez-vous au Mac Do. Dès que je vis son large sourire, je compris qu’elle allait m’annoncer quelque chose d’exceptionnelle.

– Alors, pour commencer… je ne suis plus vierge ! dit-elle joyeusement en observant attentivement mon visage pour voir ma réaction.

– Non ! C’est pas vrai ! Depuis quand ?

– Seulement depuis hier soir, enfin cette nuit.

– C’est dingue ! Tu ne vas jamais me croire : cette nuit, j’ai rêvé que tu couchais avec Arnaud !

– Arnaud ?! Arrête ! C’est avec Arnaud que j’étais cette nuit !

– …

– Je l’ai rencontré hier, par hasard, en me promenant au Centre Commercial de Massy. Il m’a invitée à prendre un verre et on a passé l’après-midi ensemble. Le soir, il m’a proposé de dîner chez lui parce que ses parents étaient partis en week-end.

Elle poursuivit en n’oubliant aucun détail de sa première nuit de luxure, y compris en évoquant le fait qu’il l’avait prise par terre dans sa chambre.

– Attends. Tu vas trouver ma question bizarre, mais il avait mis un drap ?

– Non, on l’a fait directement sur la moquette de sa chambre ! Une moquette couleur saumon : ça m’a marquée !

L’été 1996 allait demeurer pour moi inoubliable. Kim m’annonça qu’elle pouvait nous trouver deux séjours d’une semaine en demi-pension dans un hôtel trois étoiles de Majorque, aux Baléares, billets d’avion compris, pour un prix incroyablement bas, à la condition que nous partions huit jours plus tard. Je n’hésitai pas une seconde, même si je savais que toutes les économies accumulées grâce à mes petits boulots allaient y passer, et j'informais ma mère de mon départ. Elle essaya de me faire culpabiliser de lâcher mes parents à trois jours du départ en Loire-Atlantique, insista sur le fait que, si elle avait su, elle aurait pu retenir une location pour deux plutôt que pour trois. Mais devant ma détermination, elle abandonna bien vite. Il faut dire qu’elle avait lâché du lest depuis mon vingtième anniversaire.

Dès l’aéroport parisien, Kim et moi commençâmes à déshabiller des yeux les garçons qui attendaient avec nous l’embarquement, et à faire des commentaires grivois sur l’un ou l’autre de ces spécimens mâles. Mon amie suggéra qu’en revenant de Majorque je ne serais peut-être plus puceau. « A 21 ans, il serait temps ! songeai-je, en soupirant d’espoir. » Kim jeta son dévolue sur un gars ayant la taille d’un basketteur et la carrure d’un jeune rugbyman. Moi, je remarquai davantage un mec brun, de taille moyenne, très mignon, au sourire à se pavaner, et apparemment bien foutu. Nous nous promîmes d’adresser la parole à ces deux-là aussitôt que l’occasion se présenterait.

C’était la première fois que je prenais l’avion, tout m’enchanta, malgré une douleur aigüe qui me vrilla les tympans au moment où nous descendîmes vers l’île. Les lumières de Palma de Majorque, au beau milieu de la nuit, comme des étoiles célestes jetées sur Terre par un dieu capricieux, me parurent féeriques.

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N’ayant encore jamais voyagé, beaucoup de détails m’émerveillèrent : la température de l’air (comment une telle chaleur pouvait être possible ?), celle de l’eau (je n’avais connus que l’Atlantique à 17°C), les us et coutumes de l’hôtel, devoir m’appliquer à parler une langue que je n’avais pratiquée que dans une salle de classe, l’interdiction formelle de consommer l’eau courante, toutes ces petites choses qui semblent banales, sinon rasoirs, pour le grand voyageur blasé.

Notre chambre donnait sur la piscine de l'hôtel : nous bénéficions de la meilleure place pour admirer mon beau brun qui s’était installé, uniquement vêtu d’un short, dans une chaise longue, en compagnie des deux filles qui l’accompagnaient depuis l’aéroport. Je n’en revenais pas en voyant ses abdos depuis notre balcon.

– Il est hyper bien foutu, c’est de la folie ! s’exclama Kim. Dommage qu’il soit homo.

– Comment tu le sais ?

– C’est juste probable : un mec qui part seul en vacances avec deux filles dont aucune d’elles n’est manifestement sa copine…

– Tu crois que j’ai mes chances, alors ?

– Bien sûr ! mais, je te préviens, s’il est hétéro, je me le ferai. Ca ne te dérange pas ?

– Bah, non, si je ne peux pas l’avoir, autant qu’il ne soit pas perdu pour nous deux. C’est quoi le plan… pour l’aborder ? demandai-je.

– Quel plan ? On va lui parler, c’est tout, pas besoin de plan. Nous sommes en vacances ici, loin de chez nous, nous ne le reverrons probablement jamais… On se lâche, Jay !

Cinq minutes après, nous étions à demi-allongés près de la piscine, avec mon séduisant garçon, Kim ayant tout simplement demandé au deux nanas, Delphine et Zoé, si nous pouvions nous joindre à eux. Elles avaient semblé ravies de la rencontre. Et lui aussi. Lui, il s’appelait Franck.

– Kim, c’est ta copine ? me demanda-t-il discrètement.

– Euh, non, c’est ma meilleure amie.

– Ah ! cool !

Que trouvait-il cool ? Que Kim soit libre ? Ou que je sois libre ?

Nous passâmes les jours suivants tous les cinq à nous éclater sur la plage blanche et turquoise, à savourer des cocktails lumineux et frais, à visiter l’époustouflante cathédrale gardée par des statues fantasmagoriques.

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Mais aussi, nous nous adonnions à des jeux puérils, dont le fameux « action-vérité ». A cette occasion, Kim, n’ayant, comme toujours, pas froid aux yeux, demanda à Franck :

– Action ou vérité ?

– Vérité.

– Tu préfères les filles ou les mecs ?

– Je n’ai pas de préférence, je sors avec des filles, mais si j’ai l’occasion de passer un bon moment avec un beau mec, je n’hésite pas !

Plus tard, devant le buffet de la salle de restauration, je fis remarquer à Kim, à grand renfort de coups de coude, que son grand gaillard qu’elle avait remarqué à Paris était à deux pas d’elle.

– Alors, quand est-ce que tu lui parles ?

– Finalement, il ne m’intéresse pas. Je préfère Franck.

– Mais, il a dit qu’il couchait avec des mecs. Et tu as vu comment il m’a regardé en disant ça ? J’ai toutes mes chances !

– Il aime aussi les filles, et il est vraiment canon. Ecoute, on va pas se fâcher, on va le laisser choisir : que le meilleur gagne !

– Mouais.

Je doutais être le meilleur.

Au cours des jours suivants, ni Kim ni moi ne chercha à provoquer Franck, de crainte peut-être que notre amitié n'en pâtisse. Même cette nuit-là où, allongé sur la plage, à la belle étoile, il nous proposa :

– On prend un bain de minuit ?

– Je n’ai pas mon maillot sur moi, s'excusa Kim.

– Justement ! Un bain de minuit, c’est à poil ! rétorqua Franck en riant.

Joignant le geste à la parole, il se déshabilla aussitôt dans la quasi obscurité. Delphine et Zoé firent de même. Kim ne bougeait pas.

– Tu ne veux pas y aller ? lui demandai-je ?

– Non, je n’ai pas très envie de me déshabillée devant tout le monde, même s’il fait nuit.

– Ca t’embête si j’y vais ?

– Non, dit-elle simplement, d’un ton qui laissait croire le contraire.

Je fis comme si je n’avais pas remarqué la manière dont elle m’avait répondu, me mis tout nu et m’élançai en courant vers la mer. Mes yeux, maintenant habitués à la demi pénombre, se posèrent sur Franck qui m’attendait, tourné vers la plage, de l’eau jusqu’au genoux. Je devinais une superbe statue grecque. A la seule différence que cette statue grecque-là semblait être doté d’une queue énorme. J’entrai dans l’eau en bandant, impossible que la diffuse clarté rose et bleue émanant des bars alentours ne lui révèle mon érection. Tant pis ! Kim l’avait dit : nous étions loin de chez nous, nous pouvions nous lâcher, oublier tout complexe, toute retenue ! Il m’accueillit en m’effleurant le sexe du bout de l’index – incontinence instantanée des sensations – et en me déclarant :

Tu n’es pas très très musclé, mais par contre, tu n’es pas mal équipé.

– Ce n’est rien, à côté de toi, dis-je.

Il commença à m’éclabousser, j’en fis de même. Delphine et Zoé se joignirent à nous, à mon grand regret. Ce même regret me rafraîchit les idées et je culpabilisai soudain en pensant à Kim. Je retournai immédiatement sur le sable.

– J’ai préféré revenir, Franck devenait trop tactile, mentis-je à moitié.

– Et alors ? C’est cool, tu aurais dû rester.

– Je sais qu’il te plaît. Je ne veux pas qu’il se mette entre nous.

– C’est gentil. Mais, comme je te l’ai dit, le meilleur gagnera.

Nous demeurâmes silencieux.

Arriva la dernière soirée que nous passions à Majorque. L’hôtel organisa une grande fête. Kim et moi profitions du buffet à volonté et du punch, lorsque Franck passa près de nous sans nous voir. Kim l’agrippa par le bras et lui demanda : « On danse ? » Ce fut alors une succession de danses latines plus lascives les unes que les autres. Kim s’en donnait à cœur joie, frottait son entrejambe, autant que faire se peut, sur les cuisses de mon beau brun. Judas était une femme, et je la détestais. J’avais envie de monter dans ma chambre et de pleurer de déception, quand je vis Franck faire des signes à Kim qui semblaient dire : « Je suis crevé, on arrête ? » Zoé attira immédiatement l’attention de Kim et dansa avec elle, tandis que Franck vint me rejoindre :

Tu as l’air de t’ennuyer, Jay ?

– Non, non… mais je n’aime pas danser, c’est tout.

– Tu préfères l’alcool et le sexe, hein ? se moqua-t-il tendrement. Dans ma chambre, j’ai une bouteille de whisky, tu viens ? Pour le sexe, je pourrai peut-être aussi faire quelque chose pour toi.

Ca y est, nous y étions. Demain matin, je ne serais plus un puceau.

Tandis que je le suivais dans les escaliers, je m’étonnais de trembler à ce point. Gros poids sur le ventre. « Putain ! t’as 21 ans ! Tu vas pas mourir, détends-toi ! Des milliards d’êtres humains l’ont fait avant toi ! »me répétais-je en boucle.

Franck sortit la bouteille promise de sa valise et nous servit généreusement. Deux fois. Dans le silence, nos regards plongés l’un dans l’autre, comme si nous nous défions. « Tu me plais bien, me dit-il à brûle-pourpoint, posant une main sur ma cuisse. Tu es vraiment mignon comme mec, réussit-il à articuler malgré son dégré d’alcoolisation ». J’ouvris la bouche pour répondre, quand nous fûmes interrompus par une fille blonde pulpeuse, que je regardais depuis une semaine comme la pouf’ de service, qui enjambait le balcon de Franck. Elle était, elle aussi passablement éméchée.

« Franckyyyy ! Franckyyyy ! piaillait-elle comme une gourde, tu m’as manquéééé, pourquoi t’es partiiii ? » A mon grand écœurement, il parut satisfait de la voir. « Cool ! s’exclama-t-il en me regardant, Jessica va te sucer pendant que je te prendrai. » Moi ? Sucé par… par… cette fille ? Je ne demandai pas l’argent de mon reste et quittai la chambre.

– Je t’ai vu partir avec Franck, me dit Kim, je ne pensais as te revoir si vite…

– Je n’ai pas pu. J’ai pensé à toi, mentis-je encore. Notre amitié est plus importante pour moi que de coucher avec un mec.

Cette fois, elle parut émue et me serra dans ses bras

– On rentre demain soir, me lamentai-je un peu, y a plus aucune chance pour que je sois dépucelé avant de rentrer en France.

– Non, en effet. De toute façon, tu es un garçon trop sensible : pour ta première fois, mieux vaudrait que tu sois avec quelqu’un qui compte vraiment pour toi et qui tienne à toi.

– Tu crois ?

– J’en suis sûre !

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20 décembre 2011 2 20 /12 /décembre /2011 13:39

Nous déjeunions presque tous les jours ensemble que ce soit au restau u, au Quick, ou un sandwich grec acheté dans le Quartier Latin que nous mangions assis sur les marches d’un escalier peu fréquenté et poussiéreux de la Sorbonne. Nous, c’est-à-dire Sandrine, Jean, Maya (une copine de ce dernier) et moi. Un jour, au cours d’une conversation littéraire, Jean nous révéla, à Sandrine et à moi, qu’il adorait Arthur Rimbaud, qu’il était ému tant par ses textes que par sa biographie. Je vis dans cette déclaration un augure encourageant, la relation de Rimbaud avec Paul Verlaine étant de notoriété publique pour des littéraires comme nous. Je m’empressai d’affirmer que moi aussi j’adorais ce poète, alors qu'en réalité, je n'avais que lu deux ou trois poèmes de lui au collège et au lycée.

Aussitôt après les derniers cours de la journée, convaincu que je tenais là une arme de séduction massive, j’achetais l’intégrale de l’œuvre du poète en livre de poche. Je passai alors la nuit entière à tout lire, préfaces et notes explicatives comprises. Pas seulement pour en mettre plein la vue à Jean, mais aussi parce que j’avais ainsi l’impression de me rapprocher de mon beau blond, de le découvrir davantage, en lisant les vers et les faits marquants de la vie de son auteur favori. A ce point du récit, il convient de préciser que Jean faisait encore partie du clan auquel appartenaient mes parents : celui des personnes à qui je n’avais pas encore osé parler de mon orientation sexuelle.

Le lendemain de ma nuit rimbaldienne, les yeux cernés de fatigue, j’avais bien l’intention de faire comprendre à Jean que non seulement les hommes me plaisaient, mais que lui, tout particulièrement, occupait mes pensées. Pour cela, je n’avais pas l’intention de recourir à la fameuse déclaration « je suis homo », mais de faire de subtiles allusions à la vie et à l’œuvre de Rimbaud, dont je connaissais désormais des pans entiers par cœur.

En fait de subtilité, je déclamai des vers tout au long de la journée.

Au jardin du Luxembourg, ou nous allons nous dégourdir les jambes entre deux cours :

Square où tout est correct, les arbres et les fleurs,

Tous les bourgeois poussifs qu’étranglent les chaleurs

Portent, les jeudis soirs, leurs bêtises jalouses.

En nous rendant à la boulangerie pour nous acheter des sandwiches :

Ils écoutent le bon pain cuire.

Le boulanger au gras sourire

Grogne un vieil air.

Lorsque Jean me fait remarquer que l’hiver va être froid cette année :

L’hiver, nous irons dans un petit wagon rose

Avec des coussins bleus.

Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose

Dans chaque coins moelleux.

Quand jean me demande discrètement, en cours de linguistique, si le « y » est une voyelle ou une consonne :

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,

Je dirai quelque jour vos naissances latentes.

– Mais, ma parole, finit par lâcher Jean, mi-amusé, mi-agacé, cette nuit tu as appris tous les poèmes de Rimbaud au lieu de dormir ?

– Bah, non, genre j’ai que ça à faire ! C’est juste un poète que j’aime beaucoup, c’est tout…

– Moi aussi, mais le seul poème que je connaisse de lui par cœur, c’est Ma Bohème : je l’avais appris pour plaire à une fille avec que je voulais sortir, au lycée.

C’était la première fois qu’il faisait clairement allusion à ses goûts pour la gent féminine.

Loin de jeter l’éponge, je m’obstinais à me convaincre que tout était encore possible, que Jean était un garçon ouvert d’esprit, et qu’il pourrait se détourner des filles en s’apercevant que j’étais un garçon tout à fait aimable. Ne possédant pas les attributs physiques féminins propres à le séduire, je décidai de l’avoir par l’esprit et l’humour, et, comme jadis, lorsque je partageais la même classe que Cédric, je déployai des trésors d’imagination en réalisant des textes et des dessins propres à titiller les synapses et les zygomatiques de Jean. Bingo ! j’avais l’impression de mettre chaque fois dans le mille : Jean riait, admirait, et me félicitait, tantôt de vive voix, tantôt dans de longues lettres que je finissais par connaître sur le bout des doigts à force de les lire le soir, dans mon lit.

Je créais notamment une petite série de bandes dessinées, dans lesquelles « Doc Jay » dispensait des cours d’éducation hétérosexuelle à Jean. Quelle ironie ! En voici un épisode.

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Mais le temps passait, et ma raison finit par l’emporter. Surtout quand Jean me présenta sa nouvelle petite amie, une jolie rousse que je trouvais drôle et gentille. Je décidai donc de mettre un terme à toute ambiguïté : peut-être que lui et moi nous pourrions au moins demeurer de bons camarades. Ce fut dans un fast-food, autour de cheeseburgers graisseux et de frites vraisemblablement en carton, que je lui lâchais, au détour d’une discussion, mon fameux (et sobre) : « Je suis homo ».

– Ah ! s’exclama Jean. Je me demandais quand tu allais te décider à me le dire. Ca commençait à devenir embarrassant.

– Tu le savais ?

– Bah oui, depuis le début. Sandrine l’a dit à Maya, qui me l’a dit. Tout ça sous le sceau du secret évidemment ! conclut-il en riant. Tu devrais savoir que les filles ne savent pas se taire.

– Et, tu… tu sais aussi que je… t’apprécie… disons… un peu plus que comme un simple copain ? ajoutai-je en devenant écarlate.

– Oui, je m’en doutais. Un beau gosse comme moi, je ne vois pas comment tu aurais pu résister, plaisanta-t-il. Mais, bon, les sentiments ne se contrôlent pas, je ne t’en veux pas, no problemo. Sauf si tu gardes espoir ! Car il n’y a aucune chance pour que je couche avec toi un jour ! Tu le sais, ça ?

– Même si c’était la fin du monde et que nous étions les deux seuls survivants ? lui demandai-je, remis de mes émotions et ayant aussitôt retrouvé ma capacité à déconner.

– Je trouverais bien une chèvre ! Ou je me branlerais. Si nous sommes les deux derniers humains, je préfère avoir un pote qu’un amant !

Voilà comment Jean devint l’un de mes meilleurs copains au cours de mes années à l’université. Nous parlions librement l’un avec l’autre, lui de ses conquêtes féminines et de ses fantasmes, définitivement hétérosexuels donc, et moi des mecs qui me plaisaient et avec lesquels j’allais faire mon apprentissage des relations amoureuses adultes.

 

Ce texte est © Jay. Toute reproduction interdite sans l’autorisation explicite de son auteur.

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19 décembre 2011 1 19 /12 /décembre /2011 11:28

Les jours qui suivirent ne laisseraient dans mon souvenir que des miscellanées d’images et de mots perçues au travers d’un épais brouillard. Chimiquement embrumée, ma capacité mémorielle équivalait alors à celle d’un poisson rouge qui oublie tout en l’espace d’un tour de bocal. De même que celui-ci redécouvre en permanence le salon dans lequel trône son aquarium, de même je m’émerveillais à chaque instant d’être là où j’étais, me demandant quand et comment j’y étais parvenu. Tiens ! je suis dans ma chambre avec Mathieu. Depuis quand est-il là ? Qu’est-ce que je faisais une seconde auparavant pour ne pas m’être aperçu de sa présence ? C’est comme si je venais au monde à l’instant même, étrange sensation…

– C’est nul ce que tu as fait, me répétait-il.

– Tu as eu peur ? demandai-je.

– Non, je savais que tu n’étais plus en danger quand Sandrine m’a tout raconté. Et Bahia, elle le sait ?

– Non ! Elle me le reprocherait et voudrait savoir pourquoi. Toi, tu ne veux pas savoir ?

– Bof ! Ce qui est fait est fait. Ca m’a gonflé surtout parce que ça m’a un peu perturbé, au point que je n’ai même pas pu baiser Marie, avant-hier !

– C’est tout ce qui te préoccupe ?

– Non, c’est juste pour te dire combien ça m’a perturbé, insista-t-il en forçant un peu trop sur le froncement de sourcil mélodramatique. Mais, bon, de toute façon, je la vois tout à l’heure, je vais pouvoir me les vider ! conclut-il en riant.

Je n’en eus pas conscience immédiatement, mais ce fut à ce moment précis que je me détachai de lui. C’était si facile ! J’avais été fou de lui pendant deux ans, et en un instant il me devenait totalement indifférent ! Comprenant que ma mort ne lui causerait comme seul soucis qu’un déclin momentanée de libido, je me retrouvais soudain incapable d’aimer une seconde de plus un individu aussi égoïste. Et ça ne faisait même pas mal ! Mais, pourquoi je me retrouvai tout à coup attablé chez Sandrine, des bouquins d’histoire-géo ouverts devant moi ?

– C’est génial ! s’exclama mon amie, tu connais par cœur toutes les villes du Japon et de la Chine !

– Ah ?

– Vas-y, récite-les encore une fois.

– Euh… je ne les connais pas. Enfin, je ne sais plus.

– C’est tout à fait normal, enchaîna le Docteur Renaud sur un ton qui se voulait réconfortant, les choses vont se remettre en place petit à petit.

Tiens ! je suis dans son cabinet !

– En attendant, lui répondis-je, le bac approche et je ne retiens rien plus de quelques minutes.

– Vous vous inquiétez trop pour cet examen. Est-ce pour cela que vous avez avalé tous ces cachets ? N’y a-t-il pas une autre raison ?

– Bah, comme je vous l’ai dit, ça me stresse d’entendre mes parents s’insulter à longueur de temps.

– Et Mathieu ? Vous me parlez souvent de lui. Vous ne pouviez pas vous confier à lui ?

– Non.

– Pourquoi ?

– Je ne sais pas. C’est mon meilleur ami, je ne voulais pas l’embêter avec ça.

– Les amis sont aussi là pour ça.

– Moi, je ne me confie à personne.

– Pourquoi ?

Je laissai la conversation s’effondrer sur elle-même dans le silence.

– Bon. Nous nous revoyons jeudi.

– D’accord.

Au moins de juin, je fus tout à fait réveillé et apte à passer le bac. Je l’obtins de justesse, mes révisions n’ayant pu me profiter pleinement que depuis peu.

– Eh bien, vous voyez, il était inutile de vous inquiéter autant ! triompha le Docteur Renaud comme si c’était lui qui avait passé l’examen. Tout va bien maintenant, non ?

– Si, si… je crois.

– Mais peut-être n’était-ce pas le bac qui vous préoccupait ? Vous ne semblez pas tellement vous réjouir.

– J’ai de plus gros ennuis que le bac, dis-je sans savoir jusqu’où je pouvais aller dans la confidence.

Depuis ces dernières semaines, le Docteur Renaud avait su gagner ma confiance. Il trouvait les mots justes, paraissait deviner le degré de ma souffrance morale. De plus, il m’avait répété maintes fois, au détour de nos dialogues, qu’il était tenu au secret professionnel, qu’il n’était pas en droit de rapporter en dehors de ces murs quoi que ce fût des propos tenus par moi dans on bureau. Ici, je pouvais m’exprimer comme nulle part ailleurs.

J’avais atteint une intensité de douleur telle que je devais faire confiance à quelqu’un sous peine de perdre la raison. Parler. Cesser de me mentir, mettre des mots sur la vérité, au moins dans ce bureau. Et… et quoi ? Que se passerait-il ensuite. Allais-je voir une moue écœurée déformer le visage de mon médecin ? « Ce genre de perversion ne relève pas de mes compétences. Si vous voulez que nous nous revoyions pour une prochaine séance, ne répétez jamais une telle ignominie, ou je devrai dénoncer le monstre que vous êtes à vos parents et aux autorités. »

– Et quels sont ces « gros ennuis » ? m’interrogea-t-il patiemment, d’une voix bienveillante.

– En fait, je n’en ai qu’un, mais c’est quelque chose de très grave. Ma vie est fichue.

– Ca concerne Mathieu ? lâcha-t-il brutalement.

– Non !… Si. En partie. Je crois… je crois que j’aime les garçons.

– Que voulez-vous dire exactement ? me demanda-t-il avec un sourire complice qui signifiait qu’il avait compris mais qu’il ne se contenterait pas d’une périphrase.

– Je suis… pédé, finis-je par formuler en m’effondrant en larmes.

Je pleurais comme je l’avais rarement fait, mes réserves lacrymales semblaient intarissables. J’étais secoué par des hoquets de sanglots. Je me calmai un peu, après avoir vidé toute la boîte de mouchoirs en papier que le Docteur Renaud m’avait gentiment tendu. Il me demanda avec malice :

– Est-ce si terrible que ça ?

– Evidemment ! m’exclamai-je, l’air indigné. Je déteste les Homos !

– Vraiment ? Pourquoi ?

– Bah… hésitai-je, déconcerté, parce que ce n’est pas normal d’être comme ça. Tout le monde déteste les Homos.

– Ce n’est pas vrai. Moi, qu’une personne soit homo ou hétéro, cela m’indiffère complètement. Et c’est pareil pour la plupart des gens que je connais.

– La plupart ! La plupart !

–Eh bien ? vous voulez être aimé de tout le monde ? Ce n’est pas possible. Personne ne peut être aimé de tout le monde. On a toujours quelque chose qui dérange quelqu’un. C’est humain.

– N’empêche, ce n’est pas normal d’être comme ça ? insistai-je.

– C’est quoi « être normal » ? m’interrogea-t-il en ouvrant de grands yeux incrédules.

Sa question valait toutes les paroles de réconfort que je pouvais espérer. Tous les sophismes qui avaient cimentés mon éducation au sujet de la sexualité, qu’ils proviennent des médias ou de mes parents, volaient soudain en éclat pour retomber sur mon esprit en une poussière apaisante.

Au fil des séances, le Docteur Renaud allait me redonner des bases saines quant à l’appréhension de la sexualité et de la nature humaine, et me permettre de comprendre que j’aurais pu passer à côté de ma vie si j’avais persisté à rejeter ce que j’étais par nature. Certes, notre société ne se montrait pas des plus ouvertes par rapport à l’homosexualité, il faudrait attendre la deuxième moitié des années 90 pour découvrir des Gays et des Lesbiennes non caricaturés sur le petit écran. Jusque là, la seule image de l’Homosexuel diffusée à la télévision, c’était celle de quelques excentriques efféminés filmés à l’occasion de la Gay Pride, les cameramen des journaux télévisés paraissant volontairement laisser dans l'ombre les Homos du défilé dont la sexualité ne s'affichait pas sur les vêtements ou dans l'attitude.

Mais, je me sentais prêt désormais à remonter mes manches pour me faire une place au soleil. J’avais le droit de faire partie de ce monde. Cette prise de conscience fut pour moi comme une seconde naissance. Comme si, jusqu’à présent, j’étais resté en apnée et que j’ouvrais enfin la bouche pour inspirer à plein poumon un vent océanique. Oui, j’étais gonflé d’enthousiasme, mais encore bridé par ma naïveté de nouveau-né.

Ne m’imaginant vraiment pas réunir mes amis dans un banquet pour leur déclarer, après avoir obtenu le silence par quelques coups de couteau sur mon verre, que j’étais homo, je décidai de multiplier les déclarations officielles individuelles.

Je commençai par Sandrine. Nous irions à fac ensemble et serions donc amenés à passer beaucoup de temps tous les deux. Je ne m’imaginais plus jouer la comédie à longueurs de journées, j’étais désormais un garçon libéré des liens du mensonge, et je comptais bien le rester ! A mon sobre et difficile « Je suis homo », elle répondit qu’elle s’en doutait depuis longtemps, qu’elle avait remarqué certains de mes regards posés sur Mathieu. Honnête, elle ajouta que ça lui faisait quand même tout drôle et qu’il lui faudrait un peu de temps pour s’habituer à l’idée. En fin de compte, rien ne changea dans notre relation.

A mon sobre et angoissé « Je suis homo », Mathieu répondit qu’il s’en doutait depuis longtemps, que cela ne changerait rien entre nous, qu’il me considérait comme son meilleur ami. Dès le lendemain, il devint injoignable, et je ne le revis plus jamais. Le Docteur Renaud me permettrait plus tard de comprendre que j’étais devenu comme une sorte de miroir pour lui, et qu’il lui était probablement insupportable de s’y regarder.

A mon sobre et détaché « Je suis homo », Kim, une camarade que je connaissais depuis le collège mais dont je n’avais jamais été particulièrement proche, répondit avec beaucoup d’enthousiasme qu’elle s’en doutait depuis longtemps, que c’était cool et que j’étais son premier pote homo. Nous devinrent d’excellents amis.

Avec le temps, je ne craignais plus d’être rejeté, car je comprenais enfin ce qui était pourtant une évidence : quelle importance d’être mal-aimé de gens dont l’étroitesse d’esprit confinait à l’intolérance, voire à la haine ? Bien au contraire, révéler mon homosexualité devenait un moyen de me découvrir de vrais amis, et non des gens se prétendant les amis du personnage que j’avais accepté d’incarner malgré moi, comme si ma vie était un scénario.

Pourtant, si je progressais rapidement sur le chemin de la raison et de la sagesse, cela ne m’empêcha pas de répéter une nouvelle fois une erreur qui, sans doute, était devenu pour moi un mauvais pli dont je ne parvenais pas à me défaire : dès les premiers jours à l’université, à l’automne 1995, je tombai sous le charme d’un garçon… hétérosexuel. Si je me sentais obligé de me trouver des excuses pour sauver la face, je dirais que Jean – c’était son nom – avait tout du « métrosexuel », terme qui ne serait créé que des années plus tard.

Après l’avoir observé pendant plusieurs jours, avec ses beaux cheveux blonds, son long manteau noir stylé et ses airs de Fox Mulder, je me décidai à faire remarquer son existence à Sandrine qui convint qu’il n’était pas laid. Ni une, ni deux, elle me prit par la manche, me conduisit à Jean et, devant l’entrée du grand amphithéâtre, lui demanda s’il pouvait nous prêter des cours que nous aurions manqués. Nous découvrîmes un garçon fort sympathique avec qui, dès lors, nous passâmes beaucoup de temps.

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15 décembre 2011 4 15 /12 /décembre /2011 16:20

« Moi, j’aimerais que la Terre s’arrête pour descendre. » (Serge Gainsbourg, Quoi)

Plusieurs fois, j’avais envisagé la fugue. Elle n’aurait pas été aussi brillante que celles de Bach, mais elle m’aurait permis de m’éloigner de mes principaux sujets de souffrance : mon attirance contre-nature pour Mathieu et des parents impossibles à vivre.

Une fois, quelques semaines plus tôt, je m’étais lancé. J’avais glissé les quelques billets que je possédais dans ma poche de jean et m’étais élancé vers la sortie de la ville. Une seule idée en tête : marcher jusqu’à épuisement, traverser des forêts, des champs, peut-être même parvenir jusqu’à l’Océan que j’aimais tant, si j’en avais la force, marcher, ne plus penser, marcher jusqu’à ce que je m’endorme de faim et de fatigue, et que j’oublie… Pendant une demi-journée, j’avais parcouru les fossés et les collines, le long de l’autoroute, la sensation de liberté devenant peu à peu plus forte que l’angoisse et la douleur.

Je m’illusionnais. Je fis demi-tour, avec l’odieuse impression de ne pas l’avoir décidé. Ma mère tirait sur l’autre bout de la laisse qui m’étranglait, une laisse tressée dans le sentiment de culpabilité qu’elle avait depuis toujours distillé en moi, une laisse renforcée par l’habitude de la pression maternelle devenue comme une drogue pour moi. J’étais rentré à l’appartement. Mon père, ivre mort, n’avait pas remarqué mon absence. Quant à ma mère, le fait que je rentre après l’heure du couvre-feu n’avait été pour elle qu’un sujet d’agacement et de colère noire.

Mais, en ce mardi 2 mai, fin d’après-midi, veille de mes vingt ans, j’étais convaincu d’avoir trouvé la solution pour faire taire ma douleur, et je me sentais léger, heureux… oui, heureux ! Ma mère remarqua mon air jovial. Comme tous les jours, elle était assise sur un banc, derrière l’immeuble, à échanger les commérages de la cité avec les autres nourrices. « Ah ! c’est rare de te voir souriant comme ça. Tu as eu des bonnes notes au lycée ? »

Non, je souriais aux anges parce que j’allais cesser de me consumer pour Mathieu. Je souriais aux anges parce que mes parents allaient pouvoir se hurler dessus et s’insulter, sans que je sois là pour enlever les couteaux des mains de ma mère folle furieuse. Je souriais aux anges pour qu’ils me fissent bon accueil.

– Y a une surprise qui t’attend, là-haut, me dit ma mère.

– Là-haut ?

– Bah, oui, là-haut, à la maison ! Qu’il est bête ce môme ! ajouta-t-elle en se tournant vers ses copines ricanant comme des hyènes cocaïnomanes. Ton gâteau d’anniversaire, voyons !

– Ah, oui ! je le savais, ce n’est pas une surprise, maman.

– Et voilà ! s’exclama-t-elle dans un effet de manche à l’intention des carnassiers hilares. Il est blasé ! On essaie de lui faire plaisir, on se met en quatre, et voilà le remerciement ! Ah ! merci bien ! Merci bien, hein !

Je lançai un « bonne soirée » souriant à la ronde et je filai sans demander mon reste. Rien n’entamerait ma bonne humeur !

L’appartement était vide, mon père ne rentrerait pas avant une heure, et ma mère ne remonterait que pour préparer le dîner. J'avais du temps devant moi. Je commençai par manger une part de gâteau… délicieux ! Ma sérénité demeurait pleine et entière, je ne m’étais pas senti aussi vivant depuis longtemps, très longtemps. Ensuite, fredonnant un air à la mode, je me fis une toilette minutieuse et me choisit les vêtements les plus sympa que je possédais. C’est alors qu’un phénomène étrange se produisit.

De la salle de bains, je me retrouvai sans transition assis à mon bureau, en l’espace d’une inspiration. J’étais en train d’écrire : « Chère Maman, Cher Papa… » Comment avais-je pu me transporter ainsi, dans le temps et à travers l’appartement, en une fraction de seconde ? Il me revint en mémoire la lecture d’un livre sur les prétendus enlèvements d’humains par des extraterrestres et le sentiment d’ellipse qu’éprouvaient les soi-disant ravis à leur retour, comme si une seule seconde s’était écoulée.

Par association d’idée, je songeai au livre que je savourais depuis quelques jours : La Mystérieuse Affaire de Styles, d’Agatha Christie, la première énigme mettant en scène Hercule Poirot et son ami Hastings. Je ne connaîtrais pas la fin.

Alors, que voulais-je écrire à mes parents ? Il n’était plus tant d’y songer : un clignement d’œil plus tard, je finissais une lettre qui avait commencé par « Cher Mathieu… » Extraterrestres ? Si ça leur chante de m’utiliser comme objet d’étude, je n’ai rien contre, je me sens si bien désormais.

Un soupir et je me retrouve assis sur mon lit. Qu’ai-je bien pu faire des lettres ? Le temps de tourner la tête vers mon bureau, et je suis allongé dans mon lit. Les cloisons sont devenues transparentes. Des extraterrestres à l’aspect de femmes vêtues de blouses blanches vont et viennent autour de ma chambre. N’ai-je pas lu que les aliens ont le pouvoir de dématérialiser les murs ?

Je remarque un homme en costume-cravate, assis sur une chaise, à mon chevet. Etait-il vraiment là, l’instant précédent ? Ou ont-ils également le don de se télé-transporter, comme dans Star Trek ? Il n’a pas quarante ans, mais n’a plus beaucoup de cheveux. Il me sourit de façon bienveillante. « Bonjour, je suis le Docteur Renaud. Comment vous sentez-vous ? Vous savez pourquoi vous êtes ici ? » Parce qu’avant d’envahir la terre vous voulez nous étudier ? Je réponds que non, je ne sais pas. Il me l’explique. Sa réponse sonne pour moi comme un échec. Retour à la case départ, vous ne prenez pas les 20000 francs, et vous allez devoir de nouveau affronter Mathieu, vos parents et vos démons intérieurs.

– Quelle heure est-il ?

– Il est 15h30, répond-il.

– Ce n’est pas possible, il était déjà 17h quand je suis rentré à l’appartement.

– C’était hier.

Hier ? Nous sommes donc le 3 mai. J’ai vingt ans aujourd’hui. Joyeux anniversaire.

– Je peux vous aider, me déclare l’homme. Voulez-vous que nous nous revoyons dans deux ou trois jours ?

– Oui ! aidez-moi !

Je suis le premier surpris par la vivacité de ma réponse. Personne ne m’avait encore proposé de « m’aider ».

– Alors, je vais signer votre autorisation de sortie, vous pouvez rentrer chez vous.

– Merci (mais je préfèrerais autant que vous m’emmeniez avec vous sur votre planète).

Soudain, je suis en voiture avec mes parents. Mais, est-ce que ce sont vraiment eux ? J’en doute : ils se parlent aimablement, calmement, s’adressent à moi avec douceur, se montrent prévenants. Mon père demande à ma mère pourquoi je demande l’heure sans arrêt, elle lui répond qu’ « ils » ont dit que c’était normal.

Je bâille, et me retrouve instantanément dans mon lit. Les cloisons sont à leur place. La nuit n’est pas encore complètement tombée, mais les rideaux sont tirés. Je suis sur le point de m’endormir, mais je me relève précipitamment et saisis La Mystérieuse Affaire de Styles rangé sous mon bureau. Ca me revient : c’est dans la couverture que j’ai caché les lettres. Demain, je les détruirai. Je m’endors.

 

– Comment ! Vous savez qui a tenté de l’empoisonner ? s’exclama le Colonel Hastings en bondissant de son fauteuil.

– Parfaitement, et depuis le début, mon bon ami, affirma tranquillement le détective belge en se livrant à sa toilette avec un soin maniaque.

– Poirot, vous n’êtes qu’un vieux gredin, et j‘ai presque envie de vous étrangler ! Comment avez-vous pu me mener en bateau ?

Hercule Poirot mit un peu de temps avant de répondre, il entreprit de lisser sa moustache avec une méticulosité renversante.

– Je savais que vous étiez en mal d’aventures depuis votre retour d’Amérique du Sud. Vous comptiez sur cette tentative de meurtre pour ajouter un peu de sel à notre quotidien pluvieux. Vous espériez que cette énigme s’avèrerait passionnante à résoudre. Je ne voulais pas vous décevoir.

– Me décevoir ?…

– Il n’y a pas eu de tentative de meurtre ! triompha Poirot en observant avec jubilation la réaction d’Hastings.

– Comment ! Vous allez peut-être me dire que les petits hommes verts sont derrière toute cette affaire ? lança Hastings, ironique.

– Décidément, je ne comprendrai jamais votre humour, à vous les Anglais, se lamenta Poirot. Pardonnez-moi, mon bon ami, mais je vois que vous vous êtes vêtu en hâte. Votre cravate est de travers. Si vous le permettez…

D’une main preste, il l’arrangea, tandis que le Colonel précisait sa pensée :

– Mais, voyons, Poirot, il y a forcément eu une main intentionnellement criminelle pour verser la drogue dans son café ! On ne peut avaler tout le contenu d’une boîte de bromazépam de manière accidentelle ! A moins que… non, cela ne se peut pas…

– Qui a parlé d’accident ? Mais je vois que vos petites cellules grises se sont mises en marche. Cette lueur de compréhension dans votre regard ne trompe pas.

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14 décembre 2011 3 14 /12 /décembre /2011 11:59

Dans l’échelle de mes priorités, le bac n’occupait que la deuxième place, derrière Mathieu. Cette ultime année lycéenne fut marquée par la passion démentielle que je vouais à ce dernier. Il faut dire qu’il ne ménageait pas ses efforts pour me plonger dans un état permanent d’excitation. De l’intimité câline qu’il entretenait avec moi en classe de première, il se laissa glisser sensiblement, sans que je l’en empêchasse, vers une intimité d’ordre essentiellement sexuel.

Il semblait devenu incapable de s’adresser à moi sans passer la main sous son t-shirt qu’il soulevait négligemment pour dévoiler ses abdominaux. Dans la discrétion de ma chambre ou de la sienne c’est dans son pantalon qu’il laissait se promener ses doigts tandis que nous devisions de choses et d’autres. Quand il finissait, rapidement, par bander, il ne manquait pas une occasion d’interrompre notre conversation pour me montrer, à travers son jean ou son short de sport, ce que j’avais déjà remarqué sans son intervention. Même en classe, assez souvent, il me donnait des petits coups de coude à l’insu du prof, ce qui, par habitude, me faisait tourner les yeux vers son entrejambe ; alors, sous son pantalon, il remuer son pénis en érection contre sa cuisse, me lançant des regards complices qui me rendaient écarlate et m'invitant à tendre la main pour vérifier la fermeté de la chose. Si bien que, cette année-là, la vigueur de mes 19 ans aidant, je ne pensais plus qu’au sexe et ne débandais que rarement.

Un jour, avant le début des cours, Mathieu vint chez moi, profitant de l’absence de ma mère pour la matinée. Prétextant qu’il faisait chaud, il déboutonna largement sa chemise, puis se lamenta du peu de relief de ses pectoraux, pour mieux pêcher mes compliments.

– Arrête, tu as un super corps, dis-je.

– C’est vrai ? J’ai l’impression qu’il te plaît plus qu’à Marie.

– Marie est folle de toi, répliquai-je en laissant courir mon index sur son sein gauche. Celui-ci durcit instantanément, je crus défaillir de plaisir en constatant ce qu’un seul de mes doigts pouvait faire. Mathieu ricana et se leva précipitamment pour prendre quelque chose dans son sac à dos. Il me tendit une cassette VHS.

– Regarde, ce que j’apporte : un bon film de boules qu’un copain m’a prêté !

L’Empire des chattes ? C’est ridicule comme titre !

– Oui, mais dedans, il y a plusieurs scènes dans lesquelles deux potes s’occupent ensemble d’une fille. En voyant ça, j’ai imaginé que ça pourrait être nous deux. On a le temps d’en regarder un bout avant d’aller en maths...

Si j’avais déjà regardé, en cachette de mes parents, les films X de Canal + en crypté (en plissant les yeux jusqu’à en avoir mal aux arcades sourcilières), ce serait la première fois que j’aurais l’occasion d’en découvrir un avec une image contrastée décemment. Et aussi la première fois que je regarderais ce genre de film en compagnie de quelqu’un. Je n’hésitai pas davantage à étrenner l’antique télé et le magnétoscope toussotant, que j’avais la chance de posséder dans ma chambre, en y engouffrant la cassette qui démarra aussitôt. Mathieu et moi nous allongeâmes sur mon lit, côte à côte.

Il ne s’écoula que quelques images avant qu’il me confie : « J’ai un gourdin pas possible ! » Comme il m’y avait tacitement autorisé, j’observais la protubérance qui soulevait son jean. Que je regarde avec les yeux ne lui suffit pas, il prit ma main et la guida dans son pantalon. A travers le caleçon, je serrai son sexe entre mes doigts, comme pour m’assurer de sa dureté. « En effet, admis-je en retirant ma main, tu es très excité ! » C’était la première fois que je le touchais ainsi, avec tant d'insistance, si bien que je me sentis obligé de ne pas garder ma pensée pour moi : « Tu ne m’avais pas menti, tu es drôlement bien équipé ! » A son tour, il moula mon entrejambe avec sa main que je n’osai faire entrer sous mon pantalon. « Toi aussi, tu es gâté par la nature, s’exclama-t-il en riant ! » Peu sûr de moi, je ne savais comment interpréter son rire.

Sur l’écran, deux mecs entouraient une fille outrageusement maquillée qui s’abandonnait à eux. L’un avait un sexe nettement plus long que celui de l’autre.

– De nous deux, c’est moi qui te bats, déclara Mathieu.

– Qu’est-ce que tu en sais ?

Pour toute réponse, il fit descendre sa braguette, dégagea son pénis et se mit sur le côté, tourné vers moi. Son gland pourpre fit battre mon sang contre mes tempes. Je me tournai moi aussi vers lui, après avoir fait glisser mon pantalon sous mes bourses. Nos sexes auraient pu se toucher tant ils étaient près l’un de l’autre.

– Tu vois, la mienne est plus longue que la tienne, triompha-t-il.

– De quelques millimètres seulement. Et puis, je crois que la mienne est un peu plus grosse, non ?

– Mouais, peut-être.

Le mec qui avait la plus longue, après un long va-et-vient dans le vagin de la blonde vulgaire, éjacula à l’air libre, un jet si puissant qu’il toucha son copain qui se tenait à un mètre de lui.

– Un jour, je proposerai à Marie qu’on fasse ça tous les trois, et je t’arroserai pareil.

– Pas besoin de Marie, hasardai-je.

– Pédé ! s’esclaffa Mathieu.

Maintenant, la fille échevelée prenait les deux hommes simultanément en bouche. « J’en peux plus, râla Mathieu. Dommage que tu sois pas une nana, dit-il en s’emparant brutalement de mon paquet. Mais, tu as ce truc en trop. Si tu n’étais pas mon pote, je crois que je te couperais tout ça pour que tu deviennes ma meuf de secours. » Ces propos me faisant défaillir, j’ouvris largement les cuisses et lui dis : « OK. Fais ce que tu veux de moi. » Alors, il me retrouna sur le ventre, se coucha soudain sur moi et simula un mouvement de coït à travers mon pantalon, écrasant mes fesses avec vigueur. « Aïeuh ! Tu me fais mal, t’es con ! criais-je en le repoussant. » Nous rîmes de bon cœur. Pour cacher notre gêne.

Sans transition, il se cala contre mon oreiller, bien serré contre moi et se masturba frénétiquement, recouvrant sa queue de sa chemise à moitié ouverte. Rendu fou par son coude droit qui battait avec régularité mon flanc gauche, je fis de même. Il jouit enfin, avec un long gémissement viril. Il essuya son ventre et sa chemise avec quelques mouchoirs en papier, tandis que moi je continuais à me masturber. Sans accorder beaucoup d’importance à mon propre plaisir, il me dit : « Grouille-toi, on va être en retard en maths, et ta vieille pourrait rentrer ! » Il quitta ma chambre pour aller mettre ses chaussures. Si je n’avais pas encore joui, ce n’était pas faute d’être excité, loin de là, mais je ne parvenais pas à m’abandonner à l’orgasme. Jamais auparavant je n’avais partagé une telle intimité avec quelqu’un, et je me sentais terriblement gêné. Pour la première fois, je pressentais combien j’étais coincé et à quel point, malgré ce que je voulais bien croire, les choses du sexe me mettaient mal à l’aise.

C’est alors, qu’instinctivement, je trouvai comment déclencher mon éjaculation. Entendant Mathieu dans l’entrée de l’appartement téléphoner à Marie pour lui dire qu’il l’aimait, je me sentis assuré qu’il ne reviendrait pas dans la chambre dans l’immédiat. Je m’emparai des kleenex usagés qu’il avait laissé derrière lui, tout autour de mon lit, et me mis à sentir leur odeur âcre, puis à les porter à ma bouche. Mon orgasme soudain et violent me secoua tant et si bien que je ne pus ensuite me relever qu’avec difficulté, sous la pression de Mathieu qui, du couloir, faisait le compte à rebours avant le lancement du cours de mathématiques.

Nous arrivâmes en retard, transpirant à grosses gouttes, et les équations du second degrés nous passèrent au-dessus de la tête, tandis que nous échangions des regards qui n’avaient jamais été aussi complices. Dès lors, nous masturber devant un film X, souvent le même, devint un rite chaque fois que nous nous retrouvions dans l’intimité de ma chambre. Nous appelions cela « la pause ». Lorsque Mathieu, assis à mon bureau, posais son crayon et détournais mon attention de mon livre de géographie en me proposant « On fait une pause ? », nos braguettes ne tardaient pas à s’ouvrir.

Une autre de nos occupations préférées, encore dans ma chambre, avec le risque qu’un jour l’un de mes parents ne nous surprenne, était de mesurer notre force et de prouver à l’autre qu’il le dominait physiquement. Nous luttions farouchement, l’objectif, fixé par Mathieu, étant d’attraper les bourses de l’adversaire. Le vaincu devait alors admettre la supériorité de celui qui tenait le source de sa virilité au creux de sa main, sous peine que ce dernier ne serra de plus en plus fort les testicules jusqu’à obtenir la plus parfaite soumission. La plupart du temps, je laissais volontairement l’avantage à Mathieu. Il m’ordonnait de ne plus bouger. Je faisais exprès de lui désobéir pour mieux sentir ses doigts presser cette partie si sensible de mon anatomie. Quand il commençait à me faire vraiment mal, je ne bougeais plus et il se déclarait vainqueur. Un jour, Mathieu poussa même son attitude dominatrice jusqu’à signer son prénom avec un feutre juste au-dessus de mes poils pubiens.

Est-ce que ces jeux de combats m’exaltaient parce qu’ils me rappelaient les épreuves de lutte avec Antoine, le défi de l’aboiement avec Damien, ou bien parce que il était dans ma nature d’être excité en me sentant sexuellement dominé ?

Mes sens, ainsi aiguisés jusqu’à leur paroxysme, tranchaient les fils de ma raison. Je ne concevais plus Mathieu qu’à travers cette passion illimitée et démente dont seul un esprit adolescent est capable. Je ne vivais plus que dans l’attente des moments d’extases que nous partagions dans le secret de ma chambre. J’en devenais chaque jour un peu plus possessif et odieux, reprochant à mon compagnon de luxure de ne pas passer assez de temps avec moi, le boudant au moindre mot qu’il ne pesait pas suffisamment. J’étais terrifié à l’idée que la jolie Marie prenne l’avantage sur moi, je ne pouvais rivaliser avec quelqu’un qui avait des attributs qui ne seraient jamais miens. Et puis, il me paraissait « normal » qu’en tant que fille, ce soit elle, à long terme, qui passât davantage de temps avec Mathieu. Pourtant, étonnamment, malgré tout ça, je me refusais à envisager que j’étais homosexuel, je parvenais à me persuader que ce que j’éprouvais pour Mathieu découlais naturellement d’une profonde amitié que personne ne pouvait comprendre.

Agacé par mon comportement exclusif, Mathieu m’évita de plus en plus, sinon pour venir se masturber devant un porno, le mercredi après-midi, à son retour de chez Marie. Peu à peu la passion céda le pas à la souffrance. Une souffrance qui ne pouvait trouver d’apaisement dans le milieu familial toujours plus malsain : mes parents s’insultaient à longueur de temps ; mon père fêtait chaque jour sa rémission en se saoulant au vin rouge bon marché ; ma mère ne manquait pas une occasion de me rappeler que, tant que je vivrais sous son toit, majeur ou non, je devais lui rendre compte de mes moindres faits et gestes et ne pas rentrer au-delà de 19 heures. La seule façon de fuir, de ne plus entendre mes parents hurler de l’autre côté de la porte de ma chambre, c’était de subtiliser toujours plus de Lexomil dans la pharmacie de ma mère.

Il y avait les quarts de comprimé que je prenais quand la pression se faisait trop forte, et la réserve que je constituais dans ma chambre avec les quarts que je réussissais à ne pas avaler à force de volonté. Cette réserve, c’était « au cas où » l’armoire à pharmacie se tarirait. Je ne savais plus depuis quand j’en reprenais, mais je savais que je ne pouvais plus m’en passer pour affronter mes parents, mes pulsions contre-nature, la désaffection progressive de Mathieu et le bac qui approchait sans que je me sente capable de le préparer, tant mon cerveau s’essoufflait sous l’effet de la souffrance et du cercle-vicieux des anxiolytiques.

Quand je me retrouvais seul dans ma chambre, après les cours, c’était invariablement pour pleurer. Je pressentais que je devrais mettre un terme, d’une façon ou d’une autre, à cette insupportable douleur.

Mardi 2 mai 1995, la veille de mes vingt ans. Je savais qu’un gâteau préparé par ma mère m’attendait à l’appartement, je le lui avais demandé dans la perspective d’en manger au goûter avec Mathieu. Passer un peu de temps avec lui, sans avoir à attendre le lendemain après-midi son retour de chez Marie, c’est tout ce que je désirais pour mon anniversaire. Ce que je ne réussissais pas à obtenir de lui d’ordinaire – « Non, je viendrai chez toi mercredi, quand je rentrerai de chez Marie, promis. » – j’avais l’espoir de le lui soutirer à cette occasion. Comment aurait-il pu me refuser une heure ou deux de son temps, à quelques heures d’une journée aussi historique ? Il refusa.

– Non, je préfère aller faire un basket. Je viendrai chez toi demain, quand je rentrerai de chez Marie. On se fera « une pause ».

– Ah. Vous avez besoin d’un joueur pour le basket ?

– Tu sais que je t’adore, mais tu joues comme une brelle ! On se verra demain. Au fait, tu m’en voudras si j’ai pas de cadeau ? J’ai pas un rond. Je t’offrirai quelque chose plus tard.

– Non, ce n’est pas important.

– Sûr ! Tu es mon meilleur copain, je t’aime, alors pas de manières entre nous, ce n’est pas important une date.

Il me quitta en me faisant son clin d’œil irrésistible.

Je me sentis terriblement bien, serein comme je ne l’avais pas été depuis une éternité. L’avais-je un jour été à ce point ? Le soleil me paraissait plus éblouissant que jamais. En traversant la cité pour rentrer chez mes parents, j’avais conscience de la brise printanière sur mon visage, je sentais s’échapper d’une fenêtre une odeur de viennoiseries réchauffées au four pour le goûter, je passais devant mon école primaire en repensant à Adrian, mais aussi à Bahia que je ne voyais plus que rarement. Je saluais avec mon habituel sourire poli les voisins qui, régulièrement, congratulaient ma mère en lui disant que j’étais « un jeune homme gentil et bien élevé ». Ils allaient être drôlement étonnés, dans les jours qui viendraient, en apprenant que j’avais démissionné de leur monde parfait !

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13 décembre 2011 2 13 /12 /décembre /2011 11:48

« C’est pas vrai ? Tu l’as fait ! » m’exclamai-je avec un enthousiasme feint. 

Le fait que Marie soit sa petite amie ne m’avait, jusqu’alors, pas gêné. Après tout, Mathieu et moi goûtions parfois une intimité telle que je n’avais rien à envier à sa relation avec elle. Mais, ce qu’il m’annonçait là me fit l’effet d’un coup de poing inattendu dans l’estomac. D’autant plus que je demeurais incapable de m’avouer l’origine de mon bouleversement. Un besoin de rationaliser me permit de trouver une réponse qui n’était pas la bonne : aîné de Mathieu, de deux ans, j’étais toujours vierge, alors que lui me décrivait les détails de sa première expérience. Explication satisfaisante. Je n’en désirais pas d’autre.

A quelques temps de là, tandis que notre classe somnolait devant Paris-Texas en V.O. sous-titrée, pendant un cours d’anglais, Mathieu me confia à l’oreille, angoissé : « J’ai des petits boutons sur le gland. Je ne sais pas comment, je crois que Marie m’a refilé une M.S.T. » Il posait sur moi un regard si empreint de détresse, ce regard de Caliméro auquel personne ne résistait, que je ne pouvais que fondre, et incarnais avec plaisir et compassion mon rôle de « grand frère protecteur ». Je lui expliquai qu’il pouvait consulter gratuitement un médecin, dans un dispensaire, qu’ainsi il n’aurait pas à raconter à ses parents qu’il avait eu des rapports sexuels avec Marie. « Mon père me tuerait ! »

S’en remettant complètement à moi, incapable de gérer seul son problème, il demanda à la prof d’anglais si, en tant que délégué, il pouvait m’accompagner à l’infirmerie, car je souffrais de l’estomac. Ce n’était qu’un demi-mensonge, puisqu’à l’époque je souffrais d’une gastrite. Il fallait faire vite. A l’insu du gardien, nous sortîmes du lycée et pénétrâmes dans la cabine téléphonique qui se situait juste devant. Le 12 me fournit les coordonnées du dispensaire le plus proche dans notre département. Je pris rendez-vous pour lui, puis nous filâmes rapidement à l’infirmerie dans laquelle Mathieu me fit entrer, alors que je me tenais l’estomac des deux mains.

Un sachet de pansement liquide gastrique plus tard, nous étions de retour devant ce film dont nous n’avions pas l’impression d’avoir manqué la moindre scène, tant sa lenteur et son absence d’action lui donnait une allure aussi figée qu’une peinture. Nous continuâmes à dialoguer, mais cette fois à l’écrit, sur une feuille de classeur, afin de nous faire plus discrets.

– J’ai si peur... J’ai peut-être le SIDA ?

– Ne dis pas n’importe quoi. Ca ne se manifeste pas comme ça. Si ça se trouve, c’est même pas une M.S.T. De toute façon, mercredi nous serons fixés.

– Promets-moi quelque chose.

– Tout ce que tu veux.

– D’être mon ami... éternellement... quoi qu’il arrive.

– Je te le promets, mais arrête, la prof de français dirait que tu fais dans le pathos, là.

– T’es con.

– Je peux attendre la même promesse de ta part ?

– Puisque c’est moi qui te le demande...

– Tu ne promets pas, tu réponds à côté.

– T’es con. L’important, c’est que personne ne le sache, que tout ça reste dans notre cœur.

– Je peux conserver cette feuille ?

– Pour le jour où tu écriras ton autobiographie, comme Jean-Jacques Rousseau ?

– Là, c’est toi qui es con !

Est-il nécessaire de préciser que ce débordement d’affection à mon égard me transporta d’allégresse ? Je ne cessais d’étouffer cette petit voix dans ma tête qui me faisait remarquer que Mathieu n’était jamais aussi gentil avec moi que lorsqu’il avait besoin d’aide. Je ne voulais que profiter de l’instant présent. Or, jusqu’au jour de la consultation, à laquelle il tenait absolument que je l’accompagne, Mathieu déborda de tendresse pour ma personne, et mes pieds ne touchaient plus terre.

Le jour venu, mon ami sembla se décomposer d’angoisse : « J’ai trop honte de devoir montrer ma bite à quelqu’un que je ne connais pas ! J’aurais dû te la montrer, à toi, si ça se trouve tu m’aurais dit que ce n’était rien. » Je lui fit remarquer que je n’ayant pas « encore » mes diplômes de médecine, nous avions pris la bonne décision.

– N’empêche, quand mon gland sera redevenu normal, je te montrerai ma queue, tu me diras comment tu la trouves. Et toi, tu voudras bien me montrer la tienne ?

– Bah, pour quoi faire ?

– Ben, nous sommes les meilleurs amis du monde, nous pouvons faire ce genre de truc. J'aimerais bien te la mesurer, par exemple.

Cette discussion me mit dans un état dont je ne réussis plus à me défaire et, dans la salle d’attente, mon sang frappait encore mes tempes tandis que mon jean me comprimait douloureusement. Mathieu me demanda de venir avec lui dans le cabinet, pendant le consultation : « Me laisse pas... »

mathieu-3-copie-1.jpgUn docteur en blouse blanche vint nous chercher. C’était une femme. Curieusement, à aucun moment, nous n’avions songé que le gynécologue du dispensaire pouvait être une gynécologue. Le visage de Mathieu se décomposa visiblement. Il dut lui expliquer ce qui l’amenait, je demeurai en retrait, debout, scrutait les murs, le plafond, l’air de rien. Le médecin lui demanda de lui montrer ce dont il parlait. Mathieu baissa son pantalon et, du coin de l’œil, j’aperçus des fesses dont la blancheur rosée, la rondeur parfaite et la fermeté évidente dépassaient de loin tout ce que j’avais pu imaginer dans mes fantasmes les plus débridés. Egoïstement, je me sentais aussi éperdument excité que Mathieu était mortellement gêné tandis que la gynécologue s’attardait sur son membre.

Les petits boutons s’avérèrent être des mycoses. Le médecin donna à Mathieu une pommade à appliquer pendant quinze jours et lui recommanda d’expliquer à sa petite amie qu’elle devait se montrer davantage scrupuleuse quant à son hygiène intime. Si je n’avais pas déjà eu des penchants homosexuels, il est fort probable que l’idée du vagin de Marie tapissé de champignons m’aurait détourné des filles instantanément. Mathieu parut un peu dégoûté aussi, mais il ne se détourna pas de Marie. Pas tout de suite, du moins.

Mathieu jouait de la flûte traversière. Il me flattait d’exhibitions privées. Et quand je dis « exhibitions », c’est à double sens ! En février, le chauffage poussé à fond dans sa chambre, il profita de l’absence de ses parents et de son petit frère pour ôter sa chemise et me jouer, torse nu, les trois mouvements du concerto n°1 de Quantz. Des gouttes de sueurs perlaient sur son torse imberbe et cuivré, glissaient jusqu’à son nombril souligné d’un duvet blond. Les notes s’enchaînaient délicieusement. C’était une symphonie tant pour les yeux que pour les oreilles. Impossible, aujourd’hui encore, d’entendre le son d’une flûte traversière sans l’associer à des images voluptueuses d’un beau corps d’éphèbe dévêtu.

En mars 1994, Mathieu et moi nous associâmes pour réaliser, sur une proposition du professeur d’histoire, un dossier concernant l’agrandissement du Louvre, alors en cours de travaux. En réalité, c’était une idée de nous deux ; la prof, Mme Roucad avait demandé aux différents groupes d’élèves de traiter l’Île de France. Minaudant face à un dame cinquantenaire et rougissante, Mathieu expliqua que nous avions terriblement envie de mieux connaître le Louvre, que la Région participait au financement des travaux, que nous ne serions donc pas vraiment hors-sujet, et que nous complèterions ainsi nos connaissances en histoire. Comme tous les autres profs, hommes ou femmes, Mme Roucad ne put dire non à Mathieu. Ainsi, nous passâmes beaucoup de temps dans les bibliothèques et, bien sûr, au musée du Louvre.

Nous fûmes émerveillés par les massives portes de pierre sculptée mésopotamiennes et par les luxueux appartements d’or et de velours vert de Napoléon III. Mathieu réitéra sans se lasser et sans me lasser, des remarques déplacées concernant la taille des appareils génitaux des statues, des chevaux de Marly tout autant que des dieux gréco-romains : « Je suis sûr que, sans problème, tu en as une plus grande qu’Héraclès. Quand est-ce que tu vas te décider à me la montrer ? »

Il prit aussi l’habitude de s’arrêter dans chaque salle du musée pour prendre des notes en s’appuyant sur mon dos. Il me demandait toujours de me pencher un peu plus, afin de pouvoir écrire davantage à l’horizontal. En mon esprit, notre position se traduisait par une simulation de coït anal, ce que Mathieu avait induit en me répétant qu’il en profiterait s’il n’y avait pas tant de monde. Et, avec la pression de sa main et les vibrations de sa plume sur ma colonne vertébrale, je jouissais d’instants voluptueux qui rendait les œuvres d’art qui nous entouraient bien plus belles et bien plus précieuses encore.

L’été me parut long et fade sans Mathieu. Seules mes notes du bac français, 16 à l’écrit, 18 à l’oral, vinrent l’égayer un peu, ainsi que la lecture d'une douzaine de romans, dont deux d'Agatha Christie, auteur que je découvrais alors. Mathieu et moi échangeâmes quelques lettres puis, fin août, pour nos retrouvailles, Mathieu me téléphona pour m’inviter au restaurant chinois qui venait d’ouvrir dans notre ville. C’était la première fois qu’il m’offrait quelque chose. Je pris ce geste comme une façon de me dédommager de tout l’argent que je lui avais prêté pour offrir des cadeaux à Marie, argent dont je ne revis jamais la couleur.

Ma surprise fut aussi agréable qu’immense lorsque je rencontrai devant le restaurant un Mathieu à la musculature développée, faisant une demi-tête de plus que moi - fini le « p’tit doigt » - et bronzé comme un surfer californien. Le soleil avait également rendu ses cheveux mi-longs plus clairs. Nous étions si heureux de nous revoir que nous évoquâmes ardemment la possibilité de nous retrouver dans la même classe de terminale. Nous fûmes exaucés, pour ma plus grande joie, mais aussi mon plus grand malheur. Cette année-là, en effet, ma passion pour Mathieu allait prendre des proportions démesurées et déraisonnables.

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9 décembre 2011 5 09 /12 /décembre /2011 10:42

Depuis que nous ne pratiquions plus la lutte, les cours d’Education Physique et Sportive étaient devenus un calvaire pour moi, dont j’essayais de me faire dispenser le plus souvent possible. Tout au long de ma première classe de seconde, Damien n’étant plus là pour me choisir, j’étais toujours parmi les derniers sélectionnés par les élèves qui constituaient les équipes de football ou de basket-ball : le vilain petit canard maladroit qui ne marquait jamais de point et avait peur du ballon, c’était moi. L’année suivante, pour ma deuxième « chance » en seconde, les choses s’étaient un peu arrangées, puisque Cédric me prenait systématiquement dans son équipe, en contrepartie de quelques remarques, dont il avait le secret, chuchotées à mon oreilles, du type : « T’as intérêt à marquer un but, p’tit pédé ! »

Les premiers cours d’E.P.S. en classe de première furent marqués par une épreuve d’endurance très pénible dont j’ai depuis oublié le nom. Il s’agissait de courir par groupe, franchissant des paliers à partir desquels il fallait aller de plus en plus vite. Objectif : rester le dernier debout. J’avoue que, contrairement aux sports d’équipe, j’appréciais ce genre d’exercice qui, comme pour la lutte, permettait à ma volonté et à ma force nerveuse de compenser ma maladresse. Mon secret ? Rien de plus simple : j’ignore la douleur, les points de côté et je dois continuer, sous peine de m’infliger des sanctions que je me promets de mettre à exécution par la suite si j’échoue. J’avais appris cela de Julien Sorel, le héros du roman de Stendhal, Le Rouge et le noir.

Tandis que je commençais à manquer de souffle, aux voix des quelques filles que je connaissais de l’année précédente et qui m’encourageaient, se mêla celle d’un garçon qui ne m’était pas encore familière. C’était Mathieu qui me supportait en scandant mon prénom. Je restais toujours résolu à l’éviter : on ne fréquente pas un si beau mec quand on veut réfréner ses envies homosexuelles. Cependant, je ne pouvais me résoudre à plier l’échine devant le dieu des éphèbes et, à mes propres injonctions mentales, s’ajoutèrent le désir d’être admiré en vainqueur par le bienveillant Mathieu. C’est ainsi que je remportai l’épreuve.

Lorsque ce fut à son tour de courir, je l’encourageai également, oubliant pour quelques minutes la distance que je tenais à faire perdurer entre nous. C’était l’encourager doublement, d’une part à gagner l’épreuve, d’autre part à  se rapprocher de moi.

Au cours suivant, en mathématiques, il vint me demander la permission de s’asseoir à côté de moi. J’acceptai de bonne grâce, touché notamment par son côté fragile. Il faisait bien une tête de moins que moi et paraissait étonnamment frêle pour un garçon dont je savais pourtant le corps si bien fait. S’il était aimé des filles, comme on aime un mignon petit frère, les garçons, qui pourtant ne le détestaient pas, ne manquaient jamais de se moquer de lui et de son aspect gracile. L’un d’entre eux le surnommait « P’tit doigt », ce qui avait le don de le rendre furieux, à cause du double sens.

Il ne me quitta plus d’une semelle et je m’imposai alors comme son protecteur, me persuadant que mon attitude à son égard n’était que pure charité. Il m’expliqua que ce surnom qu’il haïssait était injustifié, au moins sur le plan de son anatomie intime : « Je te la montrerai, si tu veux, tu verras, ce n’est pas parce que je ne suis pas très grand qu’elle est petite. » Est-il nécessaire d’expliquer à mes lecteurs l’énergie que cette remarque insuffla à mon imagination ?

Depuis l’année précédente, il sortait avec une jolie fille, d’une autre classe, qui se prénommait Marie. Fier de prouver à tout le monde que « P’tit doigt » avait un certain succès, il l’a câlinait et la couvrait de baisers dans les couloirs du lycée. Je les trouvais mignons, tous les deux, et attendait patiemment mon tour. En effet, depuis quelques temps, Mathieu empiétait sur mon espace vital, dès que Marie avait tourné les talons pour rejoindre sa classe. Pas du tout gêné des qu’en-dira-t-on, que ses embrassades publiques avec Marie tuaient dans l’œuf, il n’hésitait pas, devant nos camarades, à se coller lascivement contre moi pour me parler, à entourer ma taille de son bras et à me faire des bisous en me répétant que j’étais devenu son meilleur ami.

A ce stade de notre relation, je pressentais déjà ma défaite. Jamais un garçon ne s’était montré si proche de moi physiquement et chacun de ses bisous, chacune de ses caresses me faisait décoller. Je ne touchais plus terre, essayant de garder en tête que ne se manifestait là que pure amitié. J’ignorais s’il se souvenait de notre première rencontre au stage des délégués et n’osais lui poser la question, tant j’associais ce souvenir à un sentiment profond d’érotisme.

Une camarade de notre classe, Sandrine, qui connaissait Mathieu depuis le collège, se permit, confidentiellement, de me mettre en garde : « Je vois bien que tu l’aimes beaucoup, mais fais attention, derrière ses airs angéliques de poupon se cache un garçon très égoïste et hypocrite qui n’agit que pour ses seuls intérêts. Il te charme car il te sent faible. Il te fait croire qu’il est faible pour mieux endormir ta méfiance. J’ai vu Mathieu causer de grandes souffrances à des filles et à des garçons, méfie-toi. » Si j’accueillis ces paroles sentencieuses avec bonhomie, trouvant charmant que Sandrine se souciât ainsi de moi, j’en rejetai immédiatement toute crédibilité, persuadé qu’elle n’avait pas idée de ce que Mathieu et moi ressentions l’un à l’égard de l’autre. Bien plus tard, je me souviendrais de cette mise en garde, apprenant qu’il ne faut pas mépriser les conseils de celle ou celui qui possède l’expérience.

Au mois d’octobre se déroulèrent les élections des délégués de classe. Mathieu et moi souhaitions nous représenter. Mon ami prit la décision de ne pas le faire, de crainte qu’une rivalité porte atteinte à notre nouvelle amitié. Il s’arrangea pour me présenter les choses de telle sorte que je le contredisse : « Ca m’aurait beaucoup plu d’être encore délégué, mais si je me présente, je sais que toutes les filles vont voter pour moi, et beaucoup de mecs aussi, et je n’ai pas envie que tu sois triste à cause de moi. » Je lui répondis que s’il pensait avoir toutes ses chances, si les élèves désiraient tant qu’il fût leur délégué, il n’y avait aucune raison pour qu’il ne se présentât pas. « Ca m’est égal si je ne suis pas élu », conclus-je. Il ne se le fit pas répéter deux fois.

Je votai pour lui, de crainte qu’il n’ait pas assez de voix et que la défaite ne le renvoie à son statut de « P’tit doigt ». Je me fis laminer sans concession, n’obtenant qu’une seule voix... celle de Sandrine, apprendrais-je quelques minutes plus tard. Il n’était pas faible, les filles ne l’aimaient pas avec condescendance mais avec fascination, les moqueries amicales de certains garçons n’étaient motivées que par la jalousie qu’éveillaient en eux l’extrême beauté et la popularité de Mathieu. Ma grande naïveté me fit honte. Je me braquai et ne voulus plus lui adresser la parole de la journée. Toutefois, une partie de moi, ingénue ou masochiste, se disait qu’il tenait vraiment à moi, qu’en l’ignorant ainsi, il viendrait de lui-même vers moi, avec son air de chien battu qui me fendait le cœur, et que tout s’arrangerait. Il n’en fit rien.

Sans réfléchir aux conséquences, je piétinai ma fierté après avoir battu froid Mathieu pendant deux jours, et offrit à celui-ci un chocolat au distributeur du hall du lycée, m’excusant pour... mon manque de fair-play. Quelle autre cause aurais-je pu lui donner quant à mon attitude ? Il m’assura que c’était sans gravité et, fort de mon sentiment de culpabilité, se laissa désormais chaque jour offrir des chocolats chauds.

J’avais perdu la première bataille. Dans ce genre de relation, elle est la plus décisive.

Au cours de l’automne de la même année, une violente dispute éclata entre nous. Tout commença par son attitude fuyante à mon égard, du jour au lendemain : plus aucune caresse, plus aucun baiser, pas le moindre mot tendre. Sandrine, à qui il s’était confié, m’expliqua : « Il pense que tu es homo et qu’il vaut mieux mettre de la distance entre vous, pour que tu ne souffres pas. Pour ma part, je crois qu’il l’a toujours su, mais qu’il ne sait pas ce qu’il veut, alors il fait comme s’il venait de s’en apercevoir. » J’assurai Sandrine qu’elle faisait erreur, que jamais, ô grand jamais, je ne serais pédé et que Mathieu allait devoir s’excuser de colporter ainsi des rumeurs sur moi.

Dans un petit passage champêtre, derrière le lycée, chemin boisé, souvent désert, qui conduisait aux riches pavillons parmi lesquels vivaient les parents de Mathieu, je profitai d’un moment calme de l’après-midi pour y surprendre le jeune homme qui faisait bouillir mon sang. Je l’agrippai au col :

- Comment tu as pu raconter à Sandrine que j’étais pédé ?!

- Elle m’avait promis de ne pas te le dire !

- C’est ça, ton excuse ?

- En fait, on se fait des bisous, des câlins, et je me suis dit que ce n’était pas très bien. Deux garçons ne devraient pas faire ça. On en a parlé au catéchisme et...

- Je me fiche du caté’, explosai-je, tu te disais mon ami et maintenant tu vas raconter des saloperies sur moi aux autres !

- Pardon ! Pardon ! se mit-il à pleurer, sans doute affolé par ma puissante colère.

Je le lâchais. Il fit un pas en arrière, me regardant comme s’il me voyait pour la première fois, puis il se jeta dans mes bras, me donna des baisers dans le cou, répétant qu’il ne méritait pas mon amitié. Je le serrai dans mes bras, si bien que je senti que, comme moi, il bandait. J’avais gagné la deuxième bataille, ce qui n’eut que pour effet de renforcer mon sentiment de culpabilité dont je ne comprenais plus vraiment l’origine. Il s’écoulerait encore de nombreuses années avant que je ne comprenne que ma mère m’avait « dressé » de telle sorte que je ne puisse pas tenir tête à autrui sans m’en affliger. Pour soulager cette désagréable impression, je me montrai aux petits soins pour lui, faisant disparaître mes économies pour le couvrir de petits présents.

Avec l’hiver, Mathieu tomba malade. Je débarquai chez lui, après les cours, avec des Mars, des Bounty et une B.D. de Thorgal : tout ce qu’il aimait. Sa mère, femme au foyer, était partie faire des courses avec son petit frère. Son père, ingénieur agronome, n’était pas encore rentré du travail. Il sembla ravi de me voir, m’embrassa malgré ses microbes. Quand il passa devant moi pour me faire visiter la maison, j’aperçus un accroc dans son pantalon de survêtement qui lui servait de pyjama, au niveau des fesses. J’y passai mon index et sentis sa peau d’une douceur étonnante.

- Non seulement tu portes un pantalon troué, mais en plus tu es à poils en dessous ! C’est quoi cette tenue ?!

- Il y a une déchirure aussi devant, me montra-t-il en riant, c’est pratique pour me branler quand je suis au lit !

Je me gardai bien de lui faire remarquer que le trou de devant était plutôt petit. Nous nous installâmes dans sa chambre pour bavarder et plaisanter, en dévorant des barres chocolatées et en admirant les muscles de Thorgal.

Au bout d’un moment, il déplora de se sentir collant ; il avait transpiré à cause d’une montée de fièvre. « Je vais aller prendre une douche, rapidement, me dit-il. Je te proposerai bien de venir avec moi dans la salle de bains pour qu’on continue à parler, mais si ma mère rentre, elle va se poser des questions. » Je voulus rentrer chez moi, mais il me pria de rester. Il laissa la porte de la salle d’eau ouverte, elle faisait face à sa chambre dans laquelle je demeurai. Tandis qu’il continuait à me parler tout en se déshabillant, j’évitai de le regarder pour lui répondre, ou plutôt je veillai à ne fixer de loin que son regard, laissant tombé un voile flou sur le reste de son corps, par un subtile jeu d’optique qui me faisait peut-être loucher.

Il revint rapidement dans la chambre, encore mouillé, la taille enveloppée d’une serviette. Il se jeta sur son lit, se cala contre son oreiller, un genou levé qui entrebâillait la pièce de linge en éponge bleue. Je me dépêchai d’engager une conversation pour occuper mon esprit.

- Marie est venue te voir ?

- Oui, ce matin. Mais j’étais trop fiévreux, elle n’est pas restée longtemps.

- Tu étais vêtu un peu plus décemment ?

- Bien sûr ! Ma mère était là ! Dommage, ça aurait pu être l’occasion pour qu’on franchisse le pas... Ah, ben merde ! Faut qu’on parle d’autre chose, regarde, je bande maintenant ! s’exclama-t-il alors que sa serviette se soulevait sensiblement.

Le bruit d’une clef dans la porte d’entrée nous fit sursauter. Mathieu se jeta sur son pantalon et enfila un pull. Il était temps : le petit frère arrivait en courant.

Un soir de ce même hiver, il débarqua chez mes parents. Ma mère ne l’aimait pas, sans doute présentait-elle que je l’aimais trop. Comme à notre habitude, nous nous enfermâmes dans ma chambre. Il s’installa sur mon lit, avec sa nonchalance coutumière et virile, appuyé contre le mur qui faisait office de ciel de lit, les cuisses largement écartées. « J’ai une grande nouvelle à t’annoncer ! me dit-il, tout sourire, avec une certaine fierté dans la voix. Cet après-midi, Marie et moi, on a fait l’amour. »

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6 décembre 2011 2 06 /12 /décembre /2011 17:09

« J’espère que tu continues à écrire le roman que tu as commencé. J’espère également que j’y tiens une place importante, sinon ça va aller très mal... Je veux être le héros incontesté et incontestable de ton livre ! » (extrait d’une lettre de Mathieu, le 24 décembre 1993)

Printemps 1993.

Il aurait été si aisé de subtiliser à nouveau des anxiolytiques dans la pharmacie de ma mère afin de répondre à la désaffection de Cédric par de l’indifférence ! Mais, je m’étais promis de me battre pour réussir cette deuxième année de seconde et ainsi obtenir une place en classe de première pour le bac Economique et Social. Or, je savais que les médicaments m’abrutiraient trop pour y parvenir. Presque d’instinct, je trouvai la parade qui allait m’aider à affronter le regard d’autrui, qui était devenu si pesant. J’allais amuser la galerie, devenir l’attraction de la classe, me placer sous les projecteurs, moi qui, paradoxalement, aurais tellement souhaité devenir un fantôme. Bref, je pris le contre-pied de ce que je désirais.

Je mis ma plume au service de récits mettant en scène des versions parodiques des professeurs et des élèves, et mes crayons me servirent à réaliser des caricatures. Ces histoires et ces dessins circulaient sous le manteau, me rapportant des compliments ou, du moins, des rires bienveillants et complices, y compris de la part de Cédric. On m’en réclamait toujours de nouvelles et je consacrais tous mes loisirs à les écrire, me délectant par avance, en imagination, des réactions de mes pairs à chacune de mes trouvailles.

Pour la première fois de ma vie, je devinais quelle était ma réelle vocation : écrire et concevoir de quoi divertir les gens. Je ne trouvais aucun attrait à la gloire académique ; je rêvais d’être un jour publié et lu par le plus grand nombre, non pour obtenir un prix littéraire ou être étudié par la postérité, mais pour amuser autrui, changer les idées de mes lecteurs en les faisant sourire, en leur faisant peur, en les surprenant. Je voulais être un amuseur public, un raconteur d’horreurs, un orfèvre du suspense. Et non un écrivain. A l’heure où j’écris ces lignes, je suis fidèle à cette perspective : j’aimerais pouvoir vivre de mes inventions littéraires et de mes concepts, non parce que je songe à devenir riche et célèbre, mais parce que le temps que je ne perdrais pas au travail, je pourrais le consacrer à apporter un peu de distraction, un peu de rêve à mes contemporains. Ou, plutôt, mon travail consisterait à distribuer du bon temps autour de moi.

Ma popularité devint telle que j’osais me mettre moi-même en scène, exploitant ainsi un modeste don pour la comédie que ma timidité édulcorait. J’étais alors tombé sous le charme du film de 1986 d’Adrian Lyne intitulé 9 semaines ½, que j’avais découvert en VHS. Le charme de Mickey Rourke, qui avait encore un visage, était tel que je fantasmais en m’imaginant à la place de Kim Basinger. A force de visionner la cassette, je connaissais les dialogues par cœur. Un jour, en classe, entre deux cours, j’improvisai une réplique du ténébreux personnage, celle dans laquelle il dit à Kim qu’il veut prendre soin d’elle, qu’il veut la laver, l’habiller, la coiffer, la porter, etc. Applaudissements des filles et sifflements osés des garçons, loin de me mettre mal à l’aise, m’encouragèrent dans cette voie.

Conscient de n’être qu’un piètre acteur, je comprenais aussi que les acclamations étaient sincères : autrefois, à l’école, on riait de moi ; désormais, on riait avec moi. Régulièrement, on me demandait de jouer une nouvelle scène, je me laissais prier, les yeux baissés, l’air faussement modeste, attendant, que tous soient bien en cercle autour de moi. Puis, je faisais mon Mickey Rourke dont mes camarades féminines les moins inhibées prétendaient en riant vouloir être la Kim Basinger.

J’étais dorénavant invité à tous les goûters, à toutes les sorties, à toutes les fêtes. On me louait aussi comme délégué de classe depuis que j’osais « affronter » les professeurs pour faire valoir les intérêts de mes camarades. Ce rôle de délégué me permit de faire un petit voyage de deux jours, dans un château dont j’ai depuis oublié la localisation et le nom, à l’occasion d’un stage de formation des délégués. Tous les élèves constatèrent la fumisterie : non seulement, ce stage avait lieu au mois de mai, ce qui était un peu tard pour nous former, mais en plus, les professeurs, le principal adjoint, les surveillants et les élèves se livrèrent à un remake de Woodstock, 24 ans après. C’est là que je fumai ma première cigarette.

La popularité me montant à la tête, il me semblait que celle-ci serait à son comble si à l’avenir je traînais devant le lycée, ma clope négligemment à la main. L’exemple de mon père et le souvenir de l’hôpital auraient dissuadé n’importe qui de se mettre à fumer. Mais, je n’avais plus peur de rien ; après tout, je revenais de loin, j’aurais pu prendre des anxiolytiques jusqu’à m’en griller tous les neurones. Je me considérais donc en sursis, heureux de l’être, et le danger que représentait le tabagisme me parut soudain dérisoire. C’est une camarade de l’année précédente, que je retrouvais à cette occasion, qui m’offrit mon premier petit bâtonnet à cancers, après m’avoir signifié que je faisais une connerie. Je déchantai bien vite : je me mis à tousser comme un tuberculeux. J’imaginai que coller sa bouche au pot d’échappement d’une voiture devait être tout aussi plaisant. Après trois bouffées, je renonçai, on verrait l’an prochain. Eventuellement.

Ca fumait, notamment du tabac mais pas que, ça buvait la bière que certains élèves avaient apporté en douce, ça se galochait et ça se pelotait dans tous les recoins, ça riait à se faire péter les cordes vocales. Bref, on s’amusait bien. Mais quand le soir arriva, ma timidité reprit le dessus et je ne m’imaginais pas me déshabiller et me doucher devant des garçons que je connaissais à peine. Je me fis donc enrôler dans la brigade d’élèves-veilleurs-de-nuit, une idée des adultes responsables qui voulaient sans doute dormir en paix. Notre rôle consistait à rester éveillé pour s’assurer qu’il n’y eût pas d’incidents durant la nuit : bagarres et sorties hors du château. Je sympathisai avec un camarade volontaire et nous bavardâmes toute la nuit, en faisant nos rondes ensemble.

Vers 4 heures du matin, tandis que nous passions devant une chambre, nous entendîmes des éclats de voix et des rires : « Faites chier ! Je dormais ! Lâchez-moi ! » L’esprit empli de Spider-Man, de Zorro et d’autres héros populaires, nous intervînmes immédiatement. Ce que je vis me coupa le souffle bien plus que n’aurait pu le faire une cigarette : dans un lit, qu’entouraient quatre gars de terminale visiblement ivres, était assis un garçon, torse nu, retenant un drap entre ses cuisses pour cacher ce que son caleçon, retiré de force par l’un des « grands », ne dissimulait plus.

En fait de garçon, j’eus l’impression de voir un jeune éphèbe échappé d’une lointaine mythologie. Le souvenir de peintures de David et de Delacroix me traversèrent l’esprit. Avais-je devant moi une œuvre d’art à laquelle un dieu fasciné par les corps de jeunes hommes aurait insufflé la vie ? Les muscles fins et longs de cet adolescent à la bouche enfantine et aux cils interminables arrondissaient une peau légèrement hâlée, satinée, et rendue visiblement moite par la chaleur du dortoir d’où se dégageait des odeurs de transpiration et de sperme.

Nous fîmes sortir sans manière les perturbateurs qui malgré leur nombre et leur taille se laissèrent faire, trop éméchés pour se défendre efficacement. De l’encadrement de la porte, je lançais son caleçon à ce bel inconnu, que j’avais sûrement déjà croisé dans les couloirs du lycée, mais que, étonnement, je n’avais jamais remarqué.

– Merci ! Ces cons m’ont réveillé. C’est cool d’être intervenu, me dit-il, repoussant d’un geste ses longues mèches dorées colées sur son front.

– On est là pour ça, répondis-je humblement, comme l’aurait fait Superman après avoir sauvé Loïs Lane des mains de Lex Luthor.

Le « stage » se termina sans que nous ayons l’occasion de nous parler à nouveau.

A mon retour, une surprise m’attendait : mes camarades de classe avaient fait circuler une carte sur laquelle ils avaient tous écrit un petit mot pour mes 18 ans. De surcroît, ils avaient eu la touchante idée de la faire signer à la prof de français que j’idolâtrais parce qu’à mes yeux elle alliait le charme, l’intelligence et l’humour comme aucune autre femme. J’étais si euphorique en voyant cela que j’appris sans le vouloir son petit message par cœur. Bizarrement, aujourd’hui, je m’en souviens encore à la virgule prêt, comme s’il s’agissait d’un poème ou d’une fable : « On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans. Ni même dix-huit, j’espère ? Parce que du sérieux, on passe souvent au grave pour aboutir au lourd. Bref, je vous souhaite d’être préservé de toute pesanteur. » Galvanisé par cette réussite sociale auprès de mes pairs et par la personnalité de cette prof, j’obtins au troisième trimestre la meilleure moyenne de français et, du même coup, mon passage dans la première de mon choix.

Juillet 1993.

Mon entrain retomba comme un soufflé. Coincé entre mon père qui ne fumait plus, mais qui se saoulait encore tous les jours, et ma mère à l’humeur au mieux instable, au pire hystérique, il n’y avait plus personne pour me lire, pour m’applaudir, pour me parler. Je n’ai presque aucun souvenir de cet été-là. Avais-je pris des anxiolytiques pour parer à ma solitude ? Peut-être, cela expliquerait ma mémoire défaillante.

Le seul événement dont je me souvienne se situe au mois d’août : je découvris enfin les joies de la masturbation. Mes lecteurs, pour en avoir fait l’expérience, comprendront sans doute en quoi ceci peut constituer un « événement » dans la vie d’un garçon - surtout un garçon qui a déjà 18 ans !

L’élément déclencheur fut une émission pour adolescents, à la radio, dans laquelle un médecin expliquait souvent l’onanisme, aux auditeurs qui l’appelaient pour le lui demander, en ayant recours à des termes abstraits et abscons. Un soir, son jeune acolyte se décida à lui faire remarquer qu’il répondait toujours à côté de la plaque, dans le style : « Quand tu seras prêt, tu sauras comment te masturber, cela ne s’apprend pas, ne t’inquiète pas, il n’y pas d’âge pour commencer, etc. » Le jeune homme en question, sous les « oh ! » médusés du docteur, expliqua mécaniquement comment il fallait procédé. Je compris alors que mon erreur résidait dans le temps que je m’accordais pour atteindre l’orgasme : je m’étais simplement imaginé que l’éjaculation devait se produire une ou deux minutes après avoir commencé le va-et-vient de la main.

Ce soir-là, me laissant tout le temps nécessaire, songeant successivement à Cédric, à Mickey Rourke et à ce beau délégué nu et moite aperçu au château, je connus le plaisir intense qu’un homme est capable de se procurer seul. Cela devint alors pour longtemps mon loisir favori auquel je m’adonnais chaque jour autant de fois que mon emploi du temps me le permettait.

La rentrée arriva. J’espérais ardemment retrouver un grand nombre des mes camarades de l’année précédente. Je n’en retrouvais qu’une poignée ; Cédric ne faisait évidemment pas partie du lot puisqu’il avait choisi d’aller en première S. Dans une optique égocentrique, je constatai une fois encore que Dieu ou le destin – je n’étais pas encore bien certain de savoir ce en quoi je croyais ou non – jouait avec moi au chat et à la souris : le beau garçon du château dont j’avais protégé le sommeil et la pudeur se retrouvait dans ma classe. Il se prénommait Mathieu.

Après mes malheureuses expériences avec Damien et Cédric, conscient de l’émotion que cet inconnu éveillait en moi, je savais que, si je ne voulais pas devenir homo pour de bon et souffrir d’une attirance sans retour, je devais éviter ce garçon impérativement.

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